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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/723

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térielle ; pas un homme politique, depuis M. Clemenceau jusqu’à M. Ribot, n’acceptait de M. Grévy la mission de former un nouveau cabinet ; le président de la république, placé dans l’impossibilité de gouverner, annonçait enfin sa résolution de se retirer ; la crise ministérielle se transformait en crise présidentielle.

Nous en sommes là maintenant ; le message de démission sera lu le 1er décembre, et le lendemain, jour anniversaire du fameux coup d’état, le Congrès se réunira à Versailles pour élire le successeur de M. Grévy. Que sera le nouveau président ? Personne n’oserait se hasarder à prédire le résultat de l’aventure où le pays a été entraîné par la misérable affaire des décorations.

Ce qui est rassurant, au milieu de ce grand désarroi politique, c’est l’imperturbable sang-froid qu’a su conserver le monde financier. Nous ne parlons pas seulement des grandes maisons de banque, qui constituent à peu près seules la spéculation depuis que le krach et ses suites ont fait fuir le petit public, mais aussi de cette innombrable armée de rentiers qui, confians dans la solidité du crédit de la France, ne se laisse émouvoir par aucun incident, si grave qu’il paraisse, et ne livre pas ses inscriptions, au grand désespoir des quelques vendeurs qui persistent encore à tenter la fortune selon les anciennes formules, et qui, depuis des mois et des années, paient régulièrement les fraie de toutes nos crises.

Si jamais occasion a dû paraître belle à des spéculateurs à la baisse, c’était bien celle qui s’offrait à eux il y a quinze jours. Tout ce qu’ils prévoyaient de mauvais est arrivé ou peu s’en faut : nous sommes en plein gâchis politique ; la conversion a failli être compromise ; le budget est indéfiniment ajourné ; on ne sait de quoi sera fait le lendemain à l’intérieur ; au dehors tout est menaçant, et les destinées de l’Europe semblent attachées à la double agonie d’un vieil empereur et de son héritier. C’est dans de telles conditions que la rente s’avise de monter de 1 fr. Que se fût-il donc passé s’il n’y avait eu tant de causes de baisse ? Les vendeurs à découvert ne devraient jamais oublier de méditer les enseignemens du grand écart qui existe entre les Consolidés anglais, cotés au-dessus de 103, et la rente 3 pour 100 française cotée au-dessous de 82.

La rente n’a pas. monté seule. Les fonds étrangers ont tous gagné du terrain, plus ou moins, malgré les incidens de la visite du tsar à Berlin, malgré l’imbroglio bulgare, malgré les craintes toujours aussi vives de l’Autriche-Hongrie à l’égard des préparatifs belliqueux, vrais ou faux de la Russie.

L’entrevue des deux empereurs, qui a eu lieu le 18, et dont la signification pacifique a été accentuée par l’entretien du tsar avec le prince de Bismarck, a fait naître sur les places austro-allomandes