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par Charles-Quint du commandement d’une expédition dirigée sur les Moluques, il conçut l’idée de s’y frayer une route nouvelle, plus courte et moins périlleuse, estimait-il, que celle du cap de Bonne-Espérance. Vingt et un ans s’étaient écoulés depuis que Christophe Colomb avait abordé le continent américain, fouillé par lui des embouchures de l’Orénoque à Caracas, pour y trouver un passage vers le Pacifique. Depuis deux ans, Cortez cherchait en vain au Mexique le détroit mystérieux qui réunissait les deux océans.

Dans cet immense continent, dont la découverte et la conquête devaient immortaliser leurs noms, ces grands aventuriers, ces hardis navigateurs du XVIe siècle, ne voyaient qu’un obstacle à franchir, une barrière qui les séparait des mers ensoleillées, des îles verdoyantes et parfumées de l’Inde, terres de l’or et des épices, des fruits merveilleux, des produits étranges et inconnus. Successivement ils venaient, au nord, au centre, au sud, se heurter contre ce continent sans fin qui, du pôle arctique au pôle antarctique, semblait leur barrer la voie. Une légende indienne, avidement accueillie par eux, affirmait que, sous des forêts impénétrables, un fleuve au cours lent et paresseux conduisait, en quelques jours de navigation, à un autre océan. Ce fleuve était le Chagrès, cet océan était le Pacifique. La légende n’était vraie qu’en partie, mais ils y croyaient, fouillant fiévreusement le Honduras, le Guatemala, la Nouvelle-Grenade, ne soupçonnant pas qu’au fond de ce golfe de la mer des Antilles 64 kilomètres seulement les séparaient de la grande mer qu’ils cherchaient et que Balboa entrevit le premier des hauteurs de Panama.

Hantés de leur chimère, ils s’entêtaient, remontant en pirogues le cours des grands fleuves, croyant voir dans chaque estuaire l’entrée du détroit qu’ils rêvaient, de la route des Indes. Du Saint-Laurent au Mississipi, de l’Amazone au rio de la Plata, ils s’obstinaient à forcer l’obstacle, dédaigneux de leur conquête, de ce continent dont ils ignoraient encore l’étendue, sur lequel ils promenaient insolemment leurs cupidités féroces, leur soif inassouvie de l’or, leur bravoure castillane devant laquelle, subjugués, les Indiens se courbaient. Semblables aux premiers mineurs californiens, qui, obsédés de l’idée fixe d’une montagne d’or massif, s’attardaient à peine à ramasser les pépites qui brillaient sous leurs pas, ils rêvaient de terres nouvelles, sous d’autres cieux, l’imagination enflammée par les récits fabuleux de la mystérieuse Catay.

Magellan y crovait aussi, à cette communication des deux océans ; mais, avec la prescience du génie, il la devinait au sud. Pas plus que l’Afrique, l’Amérique ne devait se souder au pôle antarctique ; entre elle et ce pôle devait exister un passage : mer libre ou détroit.