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les événemens ne lui apparaissaient plus comme à l’époque où ils se passaient devant lui ; les voyant de plus loin et de plus haut, il les embrassait dans leur ensemble, avec leurs causes lointaines, qu’on aperçoit mal quand on est placé près d’eux, et les conséquences bonnes ou mauvaises qui en étaient sorties ; par suite, il en saisissait mieux qu’auparavant le véritable caractère. Il n’y a donc pas lieu de lui reprocher, comme on le fait, la diversité de ses jugemens ; peut-être n’en avait-il pas lui-même une conscience bien claire, tant il nous est naturel de transporter dans le passé nos opinions actuelles, de nous persuader que nous n’avons jamais changé, et de croire que nous jugions autrefois les hommes et les choses comme nous le faisons aujourd’hui. Il en est de même de saint Augustin, et s’il lui est arrivé de nous présenter d’une façon un peu différente les divers incidens de sa vie, suivant qu’il en était plus voisin ou plus éloigné, sa sincérité ne peut pas être mise en doute, puisqu’il les a dépeints à chaque fois comme il les voyait.

Il n’en est pas moins curieux de recueillir et de constater ces différences involontaires ; elles permettent de mieux connaître ses sentimens véritables aux diverses époques de sa vie, et nous font suivre de plus près les phases par lesquelles il a passé avant de se reposer dans une doctrine précise et définitive.


I.

Saint Augustin était né d’un de ces mariages mixtes que désapprouvaient beaucoup les chrétiens rigides, et qui étaient pourtant alors très fréquens. Son père, Patricius, païen de naissance, ne se convertit qu’à la fin de ses jours ; Monique, sa mère, sortait d’une famille chrétienne. De bonne heure, elle lui enseigna le christianisme ; son père, dès qu’il eut grandi, lui fit donner une éducation profane, il reçut donc, dès ses premières années, deux impulsions contraires, qui me semblent expliquer les indécisions et les contradictions dans lesquelles s’est passée sa jeunesse.

Les paroles de sa mère, lorsque, tout petit encore, elle essayait d’en faire un chrétien, durent le toucher profondément. Il aimait Monique avec passion. Une des plus belles pages des Confessions est celle où il nous raconte l’entretien qu’il eut avec elle à Ostie, quelques jours avant qu’elle ne mourût. Ils étaient seuls, accoudés à une fenêtre, et, en regardant le ciel, ils conversaient ensemble avec une ineffable douceur. Oublieux du présent, penchés vers l’avenir, ils cherchaient à deviner ce que serait la vie éternelle que Dieu promet à ses élus. Leur pensée montait toujours plus haut, de la terre au ciel, de l’homme à l’Être des êtres ; « et pendant que