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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/882

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programme de politique antinationale, en votant pour des candidats socialistes, constitue un symptôme grave. Ce qui inquiète à juste titre les hommes d’état, ce sont les progrès inouïs du socialisme, mouvement imperceptible à son début et déjà menaçant pour l’ordre public à quelques années d’intervalle. « Dans un si court espace de temps, un véritable vertige s’est emparé même de classes sociales qu’on devait croire à l’abri du mal, » selon l’expression de M. Joerg, un des penseurs de l’Allemagne contemporaine. Malgré les lois pour l’organisation des institutions de secours en faveur des ouvriers, malgré les mesures de répression, la puissance du collectivisme international grandit au-delà de toute prévision. Au témoignage non suspect de la Norddeutsche Allgemeine Zeitung, la loi d’exception contre les socialistes a été appliquée avec énergie, car, deux mois après sa promulgation, la police avait déjà supprimé environ 200 associations, 58 journaux, 210 écrits de toute sorte. Bien que Berlin et les principales villes de l’empire aient été déclarées en état de siège, en dépit de l’expulsion des chefs du parti, malgré l’interdiction des réunions, la propagande révolutionnaire continue plus active que jamais. « Contentez-vous de vous rencontrer quatre ou cinq ensemble, dit le député Hasselmann, dans une assemblée tenue à l’époque de la discussion de la loi d’exception ; il n’y a pas de police qui puisse empêcher cela. Tous les agens de Berlin ne suffiraient pas pour surveiller de pareilles rencontres dans vos demeures. »

Surveillés chez eux, les chefs socialistes tiennent à l’étranger les réunions, plus nombreuses, où il s’agit de discuter les questions internationales. Au mois d’août 1880 entre autres, la police allemande constata le départ soudain de certains chefs socialistes de Hambourg, Dresde et Leipzig. Était-ce la fuite, ou bien une conjuration ? Un peu plus tard, les journaux apprirent que les disparus avaient assisté à un congrès socialiste tenu, du 20 au 23 août, dans les ruines de l’antique château de Wyden, près d’Ossingen, en Suisse. Le château, abandonné depuis longtemps, avait été loué pour l’assemblée, afin de déjouer les recherches de la police. Un concierge avait été placé à la porte pour veiller sur les abords. Une cuisine ambulante pourvut à l’entretien des membres de la réunion, qui passèrent les nuits couchés sur la paille, dans les dépendances les mieux conservées du château. Au bourgmestre du village voisin, qui avait cru devoir s’enquérir de l’objet d’une réunion aussi inusitée, on déclara qu’il s’agissait de la discussion d’un projet de caisse de secours pour les ouvriers infirmes. Quelques jours après, un délégué du conseil d’état vint sur les lieux pour plus ample information ; mais le congrès, la cuisine et le portier