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à cette heure, s’il était resté au fond de l’eau? Il n’est qu’un égoïste ! — Deuxième épisode : un garçon de l’hôtel a reconnu Henriette, il a cru qu’Edouard était son mari; on les a inscrits sous ce nom : M. et Mme Colineau !.. Edouard ne pouvait garder ses vêtemens mouillés; il reparaît, affublé d’une défroque de l’aubergiste : joli costume pour affronter une femme mécontente ! A première vue, elle s’écrie: « Qu’est-ce que c’est que ça? » Elle murmure : « Il est horrible! » Et aussitôt la dispute éclate : « Pourquoi m’avoir amenée dans cet hôtel où ce garçon devait me connaître ? — Mais je ne pouvais prévoir... — Il fallait prévoir! » Et avec une verve admirable, elle fait le procès du galant, de cet homme qui est venu troubler la paix d’un ménage, dénoncer les ridicules du mari, dire à la femme : « Pauvre femme! qui vous croyez heureuse;..» qui a fait miroiter à ses yeux un autre bonheur, et qui ne se soucie guère, à présent, si elle est perdue... Eh bien! il aurait toujours fallu rompre; elle veut rompre tout de suite, « avant au lieu d’après... » Elle veut repartir. Lui, alors, réplique avec une verve pareille : « Eh bien ! à la bonne heure ! je vous remercie de vous être montrée à moi telle que vous êtes ! » Et il lui déclare que sa conduite n’est pas celle d’une honnête femme!.. Il va remettre ses habits, il revient, «Il est bien mieux ainsi, » fait-elle; et déjà elle se radoucit, lorsque... Troisième épisode ! Un lion échappé de la ménagerie voisine parcourt l’hôtel et poursuit un prince nègre, arrivé hier de Sénégambie pour s’amuser en France. Brandissant son parapluie, Edouard s’élance à la rencontre du fauve. Il rentre vainqueur, à peu de frais : l’animal débonnaire n’a blessé que sa redingote et lui a léché le visage. N’importe, il a été brave, il a été heureux :.. transportée d’admiration, ravie en extase, Henriette faiblit encore, elle va s’abandonner, quand soudain... Quatrième épisode ! Irruption du sous-préfet, qui a obtenu la croix pour le sauveur du prince, pour « le brave Colineau! » Les amoureux n’ont que le temps de retourner à Paris pour intercepter le décret : que dirait Colineau s’il apprenait tout cela par l’Officiel!

Après cette farce délectable, un acte entier de comédie, le dernier, pourrait emprunter à George Dandin son sous-titre : le Mari confondu. A la même heure que sa femme, Colineau, lui aussi, revient de son expédition amoureuse; il n’a pas eu tant de traverses : il est coupable et triomphant. Va-t-il découvrir l’équipée d’Henriette? Se voyant menacée, par un coup de génie elle prend l’offensive : elle improvise, comme un grand capitaine sur le champ de bataille, un stratagème si effronté qu’il paraît ingénu. La réussite en est prompte : c’est Colineau qui avoue sa faute! La confession du mari à la femme, en présence du galant qu’il invoque pour défenseur, est un morceau digne du théâtre classique... Tu l’as mérité, cette fois, George Dandin ! Et tu ne sauras