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gaîment supportées, les extrémités pressantes d’où l’on se lire par des résolutions extrêmes, il a trouvé enfin ce qu’il cherchait, il vit désormais dans son élément.

On a dit de lui qu’il suffisait de gratter ce Ligurien pour découvrir le sauvage à fleur de peau. Il ne s’est jamais senti à l’aise dans les situations régulières, dans le train de la vie bourgeoise. Il était né pour les hasards et pour tenter les dieux. « Qu’il est beau, l’étalon de la pampa ! s’écrie-t-il. Sa bouche ne connaît pas le frisson glacé du mors, et son dos, où l’homme ne s’est point assis, brille comme un diamant à la clarté du soleil. Sa crinière splendide et inculte bat ses flancs lorsque, le front superbe, fuyant les poursuites de l’homme ou rassemblant ses jumens éparses, il devance le vent à la course. Son sabot est plus luisant que l’ivoire, et sa queue, richement fournie, s’éparpille au souffle du pampero, chassant les insectes qui l’importunent. Vrai sultan du désert, il choisit la plus belle des odalisques sans recourir au servile et répugnant ministère de la plus dégradée des créatures, l’eunuque. » Il entend par là que le cheval des pampas n’a pas besoin du prêtre pour le marier, et que les unions libres sont le seul genre d’épousailles qui convienne à un être libre, qu’il ait deux jambes ou quatre pieds.

Il ne faut pas demander aux inspirés d’avoir toujours le sens commun, et on ne peut espérer qu’ils aient jamais le sens critique. Garibaldi ne s’était pas mis en peine d’approfondir les mystères de la politique brésilienne et de la cause sacro-sainte dont il avait épousé la défense. Il voyait des républicains entrer en campagne contre un empereur; pouvait-il leur marchander son secours? l’étude des choses l’intéressait peu, il n’examinait jamais les dessous, et il ne savait pas résister à la magie des mots. Il lui fallut des années pour découvrir qu’il était la dupe de son enthousiasme, une marionnette dont des mains impures faisaient mouvoir les ficelles, que, pendant qu’il se battait pour l’honneur, des ambitieux, des intrigans qui avaient l’esprit fort dégourdi et la conscience très large l’employaient sans scrupule à travailler à leur fortune.

Il avait découvert aussi que ses équipages et ses bandes se recrutaient dans un drôle de monde, qu’il y avait dans son entourage beaucoup de gens tarés, des aventuriers sans foi ni loi, des capitaines de flibustiers, des hommes de rapine, de sac et de corde. Quelle que fût son aversion pour les jésuites, il pensait que la fin justifie les moyens, et qu’un scélérat qui travaille pour une noble cause mérite quelque indulgence. Au surplus, un chevalier errant professe un tel mépris pour les puissans de la terre, pour tous ceux qui autorisent ou souffrent l’injustice, que les pauvres diables trouvent facilement grâce devant lui, leur conscience fût-elle noire comme un charbon. Quand