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aux « travailleurs manuels : » — Lorsque nous parlons de la classe des travailleurs (working class), dit-il, nous y comprenons tout homme qui travaille : les artistes, les auteurs, les acteurs, les chanteurs et «bien d’autres » lui paraissent être des «travailleurs » autant que les ouvriers de l’industrie.

C’est pourquoi la réforme qu’on propose est entachée d’un double vice. Si l’on veut entamer le droit que les législateurs de la révolution et du consulat ont entendu constituer pour tout le monde, encore doit-on savoir qui l’on va favoriser. Quand on déroge au droit commun, il faut déterminer avec une grande précision jusqu’où l’on y déroge. Or c’est précisément au moment de tracer la ligne de démarcation qu’on cesse de s’entendre. Les uns réclament un code du travail dans l’intérêt de tous ceux qui se livrent à des travaux manuels pour le compte d’autrui et moyennant salaire. D’autres, présentant une nouvelle théorie des risques, songent exclusivement aux industries dans lesquelles, « à raison, soit des moteurs, soit des matières employées ou fabriquées, » l’ouvrier est exposé à un accident dans l’exécution de son travail. En un mot, on scinde, à un certain point de vue, l’unité de la nation, sans comprendre au juste où sera le point d’intersection. Mais, quelle que soit la fissure, on aura touché à l’égalité civile, et ce n’est pas seulement l’égalité des citoyens, c’est l’égalité même des « travailleurs » qui est menacée. Ainsi que l’a naguère établi M. Courcelle-Seneuil, toutes ces propositions, conçues pour diminuer l’inégalité des conditions sociales, auraient pour effet de la déplacer ou de l’augmenter.

Peut-être les promoteurs de la réforme ne songent-ils pas à quel point il est difficile de toucher législativement aux rapports du capital et du travail. Quoique cette vérité soit devenue banale à force d’avoir couru le monde, il est bon qu’elle frappe, de temps à autre, l’oreille des juristes. Ceux-ci consulteront avec fruit, pour choisir un document entre mille, le rapport de la commission supérieure du travail des enfans dans les manufactures, publié par le ministère du commerce, sur les résultats des visites faites par les inspecteurs du service en 1885. L’état ne sort pas de son rôle, à coup sûr, quand il réglemente à certains égards le travail des enfans, incapables de se défendre contre une avidité tyrannique. Que ceux-ci ne puissent être employés dans les usines, manufactures, ateliers ou chantiers avant l’âge de douze ans, sauf dans certaines industries où ils sont admis à dix ans; que le maximum de la journée de travail, avant douze ans, soit de six heures divisées par un repos ; que le travail de nuit soit prohibé pour les enfans mâles jusqu’à seize ans, pour les filles mineures jusqu’à vingt et un ans (dans les usines et manufactures); qu’il soit défendu d’employer les enfans