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dont M. Coquelin cadet est l’aîné : à l’exception d’une débutante, qui a charmé violemment, si je puis dire, les spectateurs les plus rétifs, ces jeunes gens n’ont pas obtenu l’indulgence ni seulement le crédit auquel peut-être ils avaient droit; contre l’un d’eux, vers la fin, la mauvaise humeur est devenue de la cruauté. En plusieurs points, d’ailleurs, par-delà les interprètes, trop faciles à percer, la colère de l’assistance a paru viser l’auteur. Bah ! quel que soit aujourd’hui le sort de la Jeunesse des Mousquetaires et de la Princesse Georges, quelque rang que l’une et l’autre pièce doivent prendre dans le répertoire du père et du fils (et j’estime que ceux-là au moins sont téméraires qui, dans ces conditions, prétendent rabaisser la seconde pour toujours), je bénis le hasard qui les réunit sous mes yeux : aussi bien que deux générations d’une même race, elles auront marqué, sur la pente du XIXe siècle, deux âges du génie dramatique français.

Le voici d’abord, juste en amont de 1850, aussi libre en ses débordemens qu’il ait jamais pu l’être depuis la rupture des digues classiques. C’est en 1 849 que l’auteur d’Henri III et d’Antony s’avise de porter sur le théâtre le plus populaire de ses romans : les Trois Mousquetaires. Considérez un peu l’étendue de ce drame, la variété de sa matière, la masse de chacun de ses élémens : n’est-ce pas la liquidation d’un monde et même de plusieurs, de tout le système romantique? Essayons de dresser l’inventaire : 1° les aventures de « Milady, » ses crimes, son châtiment (à propos, je demande à M. le directeur de l’Ambigu la restitution du prologue, où l’on voit les origines de ce personnage); 2° les amours d’Anne d’Autriche et de Buckingham, traversées par la politique de Richelieu; 3° les équipées du chevalier d’Artagnan et de ses camarades, hommes de grand courage et de bel appétit. Un drame privé, un drame historique, un drame héroï-comique, le tout selon le goût de l’époque, c’est le moins que nous puissions noter ici; et ce ne sont point des exemplaires douteux de chacun de ces genres : le premier, le second, le troisième, à l’envi, outreraient plutôt la mode.

Oh! L’horreur de ce début!,. En moins d’un quart d’heure, sous le toit d’un presbytère de campagne, que d’événemens exceptionnels ! Traits de passion forcenée ! coups de foudre dans un ciel noir! — Une jeune fille, un gentilhomme : c’est la sœur du curé, c’est le fils du seigneur. En l’absence de son frère, disparu depuis quelque temps, elle consent à un mariage secret: elle ira tout à l’heure à la chapelle du château. A peine le fiancé a-t-il tourné les talons, un autre homme survient... « Lui, lui, que je ne croyais jamais revoir! » Celui-ci est misérable et proscrit; vainement il invoque le passé : « Tout nous lie l’un à l’autre : notre amour, nos douleurs, notre crime ! » Elle refuse de le suivre, elle écoute la cloche qui tinte, elle s’en va se marier. Mais il n’est pas venu seul ; il a un compagnon, qui porte des pistolets