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faire des élèves. L’enseignement est donc ici précisément nécessaire pour faire sortir la science de l’état naissant. Où donc une telle chaire pourrait-elle être mieux à sa place qu’au Collège de France qui est un établissement libre et indépendant, consacré surtout à la science novatrice, à la science en mouvement, et qui, offrant ce trait particulier de réunir à la fois dans son sein les sciences et les lettres, est tout prêt à recevoir une science mi-psychologique et mi-physiologique, laquelle sort plus ou moins des cadres d’une faculté des sciences et d’une faculté des lettres.

Mais ce premier scrupule est de beaucoup le moins important. Ce qui inspire le plus de défiance, ce que l’on craint surtout, c’est que sous le nom de psychologie physiologique, ne se glisse, non pas une science, mais une doctrine, et, pour appeler les choses par leur nom la doctrine matérialiste. Cette objection doit être examinée à fond, et il est important de l’écarter, non-seulement dans l’intérêt des idées saines sur lesquelles repose tout ordre moral, mais dans l’intérêt même de la science dont il s’agit. Rien ne serait plus funeste à l’avenir de cette science que de lui donner systématiquement une signification matérialiste. Lequel préférez-vous, demanderons-nous aux psychophysiologistes : être une science ou une doctrine ? Est-ce votre opinion personnelle, votre système, ou la vérité objective et impersonnelle qui vous intéresse ? Si vous faites de votre science une science de combat, pourquoi vous étonneriez-vous d’une opposition de combat ? Vous ne pouvez pas être à la fois des savans et des théoriciens. Voilà une science qui, dites-vous, peut appliquer à la psychologie, ou du moins à une certaine portion de la psychologie, les méthodes positives qui ont contribué à former les autres sciences. Eh bien ! tant mieux ! Qui aurait intérêt à s’opposer à une telle entreprise ? Ne peut-on pas s’entendre sur ce terrain ? Mais si l’on découvre que, sous couleur de méthode scientifique, c’est une opinion qu’il s’agit d’introduire subrepticement, alors adieu pour la science, et les choses resteront ce qu’elles étaient auparavant.

En principe, la science psychophysiologique n’est ni matérialiste ni spiritualiste. Elle est, ou doit être, exclusivement expérimentale et scientifique. Ce qui prouve ce désintéressement de la science en question, c’est ce fait qu’on n’a pas assez dit, ni assez haut, à savoir que la psychologie physiologique, dont nous avons fait plus haut l’histoire, a été fondée par les spiritualistes : c’est le spiritualiste Descartes, après lui le mystique Malebranche, et après eux Charles Bonnet, de Genève, l’homme le plus religieux du XVIIIe siècle, qui sont les vrais fondateurs de la psychophysiologie. Passons à la psychologie de l’Allemagne contemporaine, dont M. Ribot nous a fait l’histoire. Qu’y voyons-nous ? Lotze, un de ceux qu’il mentionne, est