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caduque et vide de substance ? voulait-il faire entendre que ces funérailles d’un homme seraient à quelques égards celles d’un monde ? Plus d’un se l’est demandé, peut-être, parmi ces princes qui célébraient au Dôme la communion des grandeurs royales. Plus d’un, peut-être, a senti trembler quelque chose sous ses pieds, au bord de cette tombe entr’ouverte, trembler quelque chose sur sa tête, comme se retirait la main solide qui avait raffermi tous les trônes.

Après le premier moment de silence et l’explosion de regrets, le bruit de la vie renaît ; le peuple qui formait la haie dans Berlin revient de la triste fête ; c’en est une pourtant, puisqu’on n’a pas travaillé ce jour-là. Chacun regagne son faubourg, sa province, chacun reprend son outil et son cœur des jours ouvriers. Suivons-les au hasard par l’Allemagne, ces compagnons, écoutons ce qu’ils disent. De partout arrive à nos oreilles la même menace sourde contre le vieil ordre social ; moins violente et moins fanfaronne qu’en d’autres pays, mais plus tenace, raisonnée et constante comme le génie de ce peuple. Ce n’est pas le fracas du torrent qui écume ailleurs au grand jour, arrache quelques pierres, passe et tarit jusqu’à l’autre saison ; c’est le grondement lointain de la mer, amenant de l’infini ses vagues méthodiques, rongeant sans relâche tout le rempart des hautes falaises. Ces gens-là veulent comme voulait leur empereur, ils préparent leur règne avec la même patience qu’il avait mise à préparer le sien ; l’heure venue, ils le réaliseront par le même emploi scientifique de la force brutale. Des lois rigoureuses ferment leurs bouches et condamnent leurs presses ; le bulletin de vote leur reste ; la dernière fois qu’ils se sont comptés, ils étaient 800, 000. La rumeur de défi monte des villes et des campagnes : on l’entend sous le battement des métiers, dans ces fabriques serrées autour de Berlin comme les lignes d’une armée d’assaut ; sous le tapage des marteaux qui forgent les canons monstres, dans le vaste enfer des usines d’Essen ; dans les forêts du Hartz, entre les coups de la hache fouillant le tronc des sapins ; on l’entend sur le marché de Leipsig et sur le port de Hambourg, dans le convoi de recrues qui rejoint le régiment, dans la cale du paquebot où les plus désespérés s’entassent pour fuir au bout du monde la caserne et l’impôt. Elle monte des profondeurs de la terre, des mines de Thuringe et des houillères de Silésie ; pour la propager, les méchans Kobolds ont creusé le sol allemand jusque sous le socle de la Germania ; ils avaient enfoui leur arme, la dynamite, sous l’image de la patrie, sous les pas de leur empereur, qui faillit disparaître en consacrant cette image. Que sera-ce donc, maintenant que sa figure respectée ne fera plus hésiter les cœurs, maintenant que sa main victorieuse ne contiendra plus les rancunes politiques