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Les musiciens d’Italie ont toujours aimé le théâtre de Hugo : son éclat extérieur et factice, ses contrastes violens, ses situations fortes et fausses. Tout cela prête à une musique un peu grosse, un peu voyante, sans beaucoup de dessous ni de profondeur, à des effets souvent dramatiques, plus souvent mélodramatiques et vulgaires. La vulgarité, voilà aujourd’hui le défaut national de l’Italie, comme l’obscurité est celui de l’Allemagne ; voilà notamment la tare de la Gioconda. Beaucoup d’idées, Oh ! des idées en foule, mais presque toutes mauvaises. Le génie italien trouve toujours quelque chose à chanter, et prend tout ce qu’il trouve, sans choix ni contrôle. Je ne sais guère d’opéra vraiment italien, sauf les deux derniers chefs-d’œuvre de verdi : Aïda et Otello, qui ne soit un exemple de cette déplorable facilité, de cette abondance et en même temps de cette pauvreté.

Décidément il y a en art bien peu d’écoles ; il y a de grands hommes, dont les imitateurs ne comptent guère. Rien de moins intéressant que les sous-Gounod, les sous-Wagner ou les sous-Verdi. Précisément, Ponchielli me paraît être un sous-Verdi, grosse ou fausse monnaie d’une pièce d’or. La Gioconda est conçue et exécutée selon toutes les règles italiennes ; la forme y est, ou plutôt la formule ; mais le fond manque. De la mélodie partout, mais commune, et, qu’on nous passe le mot, canaille ; du mouvement, ou des mouvemens brusques et grossiers, de vilains gestes ; de l’accent, mais celui du faubourg ; de l’émotion mélodramatique ; une sorte d’opéra de boulevard, le produit d’un art qui serait à la musique de théâtre ce qu’est à la peinture la chromolithographie… Et cependant tous ces gros défauts n’excluent pas certaines qualités un peu grosses aussi, mais réelles : l’entente de la scène, la spontanéité, parfois la justesse de l’idée musicale, quelques élans très pathétiques en dépit de leur vulgarité, çà et là de ces coups de gosier qui couronnent des phrases bien lancées et font éclater en bravos les parterres d’Italie.

Avant le quatrième et dernier acte, on ne trouverait pas grand’chose à louer : au premier acte, des chœurs se succèdent, qui semblent des surcharges de charges célèbres : le Caïd ou Gabrielle de Vergy, l’amusante parodie de M. Saint-Saëns. Le finale seul produit de l’effet. Gioconda l’achève par une belle phrase, qui domine une prière du peuple accompagnée par l’orgue de Saint-Marc. A noter aussi dans cet acte, mais pour d’autres motifs, une apostrophe, de Barnaba au palais ducal (Barnaba, c’est le traître, l’Homodei d’Angelo). On sent dans ce monologue une tendance nouvelle pour l’Italie, la préoccupation de la parole et de la déclamation. Chaque mot, chaque note voudrait porter. Mais le résultat n’est pas heureux ; il ne trahit que l’effort d’une nature qui a voulu se contrarier elle-même et se contraindre. L’effort du moins est louable ; il ne devait pas être perdu. Quelques années