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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 mars.

Ce pauvre grand peuple français est bien en vérité le plus patient des peuples. Il ne s’en doute pas, il se croit le maître souverain, puisqu’on le lui répète sur tous les tons ; il n’est que l’éternelle dupe et l’invariable victime des partis, qui, en le flattant, l’exploitent et le bernent sans pitié, qui, après lui avoir subtilisé ses suffrages un jour d’élection n’ont à lui offrir le lendemain que le spectacle de leur arrogance de leurs agitations, de leurs intrigues et de leur impuissance.

Pourquoi choisit-il des mandataires et des représentans ? Apparemment il les choisit dans sa bonne foi pour qu’ils lui assurent les premières conditions de la vie d’un peuple, la paix extérieure s’il se peut la paix intérieure toujours, la sécurité dans son travail, des lois équitables et respectées, un gouvernement sérieux, une administration honnête et prévoyante ; il les nomme pour qu’ils s’occupent de ses affaires et de ses intérêts. On n’a pas le temps de s’occuper de ses intérêts et de ses affaires ! On a même de la peine à lui donner un budget ou si l’on finit par y arriver, c’est qu’à la dernière heure comme aujourd’hui, le sénat se résigne à voler au pas de course ou au pas de charge sans plus d’examen, tout ce qu’on lui propose. On ne lui donne certes ni la paix morale qui est son premier désir, ni le gouvernement dont il a besoin, ni une administration attentive à tous les intérêts, ni l’ordre des finances, ni surtout la confiance dans le lendemain. On lui donne en revanche ce qu’il ne demandait pas, cette représentation qu’il a sous les yeux depuis quelques années : les guerres de secte et de faction, les déficits dans le budget, les trafics de faveurs publiques échappant à la répression la glorification des insurgés de tous les temps les interpellations vaines ; les crises ministérielles, le radicalisme se glissant partout et altérant tout. Si bien qu’un jour ce bon peuple de France, assez troublé et encore patient, finit par ne plus savoir ce qu’il devient, promené qu’il est à travers tous les incidens, flottant entre