Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/947

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle repousse, plus violemment que la haine, ce honteux amour ; elle rejette superbement sa vile et avilissante clémence, plus injuste que l’injustice ! — voilà des mouvemens d’âme, savez-vous, qui ne sont pas mécaniques ; voilà un conflit de passions, et qui n’est pas vulgaire. M. Marais, qui a joué ces deux actes en excellent comédien, — avec une sobriété aussi digne d’éloge dans les parties basses du rôle que l’est sa chaleur dans les parties hautes, — Mlle Malvau, distinguée sans apprêt et même un peu sauvage, destinée sans doute à devenir une bonne actrice de drame, — l’un et l’autre ont mérité les applaudissemens ; mais les acclamations ne s’adressent-elles pas à M. Sardou ? Dora, par ce duo du quatrième acte, mieux encore peut-être que par le trio du troisième, s’élève à la hauteur de Patrie.

Elle redescend pour finir : le cinquième acte, après une ariette, — celle de la traîtresse qui se trahit elle-même par l’odeur de ses gants, n’est qu’une strette assez gentille, ingénieusement renouvelée du finale du Bossu. Hé ! mon Dieu, cette petite musique vous détend les nerfs, après des accens de drame lyrique. Commencée en opérette, parce qu’elle s’est continuée en opéra, peut-on exiger que cette comédie s’achève majestueusement ? Non pas ! Quand le rideau tombe, il faut encore applaudir l’auteur, comme si l’on avait à demander son nom. Ma foi, le public s’y décide : écoutez ! .. Est-ce une reprise ? est-ce une première ? — C’est une bonne pièce de M. Sardou.

La Porte-Saint-Martin est située entre le Gymnase et l’Ambigu : la Grande Marnière, qui remplit cette vaste scène, participe heureusement du répertoire du Théâtre de Madame et de celui du boulevard du Crime. La Grande Marnière ! .. une pièce tirée du roman ? .. Oui, en vérité, par le romancier lui-même. Le ci-devant « jeune auteur » de Serge Panine, le trop heureux auteur du Maître de forges, l’auteur tympanisé de la Comtesse Sarah, M. Georges Ohnet, enfin, — si l’on me permet de le nommer ! — a eu ce courage : il a fait encore une pièce. Vainement tel critique, aux dents fines et pointues, l’a choisi pour sa victime de prédilection ; vainement, une première fois, cet ogre ingénieux l’a dévoré ; vainement il s’est acharné, en plusieurs occasions, à grignoter les restes ; vainement, il y a quelques semaines, et sans occasion, un chroniqueur plus connu pour la délicatesse de ses goûts, jusque-là, que pour ses appétits féroces, est venu, comme disent les bonnes d’enfans, « saucer l’assiette… » Par miracle, apparemment, M. Ohnet ose vivre encore ! Bien plus, il y a des gens, de bonnes gens, d’honnêtes bourgeois qui ne font pas profession de braver le martyre pour une religion littéraire, même fausse, il y en a beaucoup (j’en ai vu presque une salle pleine, un soir de première ! ) qui osent applaudir à cette résurrection. Et ils ne se cachent pas ! Dans des loges de face, au balcon, à l’orchestre, ils avouent leur contentement : ils suivent l’action,