C’est pour cela que nous le voyons si souvent entreprendre des causes si diverses, où sans doute il est également de bonne foi, mais dont on conviendra qu’il ne saurait faire également son affaire. L’avocat se se donne ses convictions, il se fait sa passion; et son éloquence n’en est pas moins sincère, mais elle en contracte pourtant quelque chose de factice. C’est un acteur interprétant un rôle, et un rôle qu’il n’a pas choisi, un rôle que son client, que les circonstances de la cause, que l’occasion lui imposent. Et, tout au rebours de l’homme politique ou du prédicateur, qui ne nous persuadent qu’autant qu’ils sont l’homme de leur discours, l’avocat n’est pas plus tenu que l’acteur d’être l’homme de son rôle; — si même, comme l’acteur, son triomphe n’est pas de rester maître de soi, impassible, indifférent, et supérieur à l’émotion qu’il excite.
Insistons et précisons. J’ai sous les yeux, en ce moment même, les Discours et Plaidoyers de M. Chaix d’Est-Ange, où je vois qu’après avoir défendu comme avocat, en 1836, devant la cour des Pairs, la vie de Fieschi, le même orateur, en 1858, devenu procureur-général, demandait aux jurés de la Seine la tête d’Orsini. Inversement, dans une affaire capitale, tout autre et plus récente, je pourrais montrer l’accusé défendu devant la cour d’assises par le magistrat même, qui, s’il n’avait abandonné son siège quelques mois auparavant, eût peut-être requis contre lui. Les mauvais plaisans s’égaient volontiers là-dessus, mais ce sont les mauvais plaisans. S’ils y réfléchissaient davantage, ils n’y verraient rien que de naturel, et même de nécessaire. Magistrat ou avocat, dans l’une comme dans l’autre occasion, chacun d’eux prêtait sa voix à des intérêts plus généraux que lui-même, et dont on peut dire que l’importance sociale se subordonnait, effaçait, absorbait la personnalité du défenseur ou du procureur-général. On ne saurait, en effet, livrer sans défense quelque accusé que ce soit à toutes les forces de la justice et de la société réunies contre lui, ni laisser d’autre part une maladroite pitié désorganiser ou dissoudre l’institution sociale ; et ce sont deux thèmes oratoires qui sont aisés, qui sont beaux, qui sont nécessaires à soutenir.
Aussi n’est-ce point de la sincérité des orateurs que je doute, non plus de celle de leur éloquence, mais de la sincérité de mon impression. Je vois d’une part l’intérêt social, et d’autre part l’intérêt de la défense ; je sais qu’ils se limitent l’un l’autre, et par leur conflit même ; cependant et tour à tour on essaie de me persuader qu’ils doivent l’emporter l’un sur l’autre. On n’y peut parvenir qu’en les exagérant tour à tour; je sens qu’il n’est plus question de trouver la vérité, mais uniquement de vaincre; on veut me déterminer contre mon sentiment ou contre ma raison. C’est ici l’un des pires défauts de l’éloquence judiciaire, et ce qui en fait une forme singulièrement inférieure à l’éloquence politique ou à l’éloquence de la chaire. Dans ces procès