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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/467

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Bien plus, ayant reçu malgré lui cette faveur, il croit s’acquitter envers sa bienfaitrice par cet aveu délicat : « Princesse, entendons-nous! Je n’ai jamais été ingrat, et, dans ce moment où je vous dois tant, manquer de franchise serait manquer de reconnaissance; ce matin déjà,.. je voulais vous avouer... — Que vous en aimez une autre? — Qui ne vous vaut pas peut-être!.. » Et lorsqu’une main discrète a payé pour lui, fort à propos, un billet de 70,000 livres, attribuant cette bonne action à la princesse, il va lui dire : « Je voulais partir sans vous voir; mais, après le service que vous venez de me rendre, service que, du reste, je n’accepte pas... » Il l’accepte, à la fin, de sa véritable amie, Adrienne; mais comment? Comme une avance faite au mari sur la dot de sa femme : n’aime-t-il pas Adrienne pour le bon motif? Elle sait, à présent, qu’il est Maurice de Saxe : tant mieux! Qu’il devienne duc de Courlande, il lui promet qu’elle sera duchesse. N’est-elle pas « reine par le cœur et digne de commander à tous?.. Qui a grandi mon intelligence? Toi. Qui a épuré mes sentimens? Toi. Qui a soufflé dans mon sein le génie des grands hommes dont tu es l’interprète? Toi! toujours toi!.. » Là-dessus, elle meurt, empoisonnée par sa rivale; Maurice achève l’épithalame en oraison funèbre : « O noble et généreuse fille ! si jamais quelque gloire s’attache à mes jours, » (si jamais je gagne la bataille de Fontenoy!) « c’est à toi que j’en ferai hommage, et toujours unis, même après la mort, le nom de Maurice de Saxe ne se séparera jamais de celui d’Adrienne ! » Il prophétise à coup sûr : il sait bien, notre Maurice, que lui et elle, maréchal de France et comédienne, bénis par Eugène Scribe et Legouvé, ont leur place marquée dans le cortège des couples « sympathiques » auxquels est voué un culte national : on va en pèlerinage à la Comédie-Française pour voir Adrienne Lecouvreur, comme on va au Père-Lachaise pour voir la tombe d’Héloïse et d’Abélard.

Au demeurant, M. Legouvé, un jour, a eu le courage d’écrire : « J’avouerai sans hésitation que, dans l’œuvre d’Eugène Scribe, il y a deux parties plus faibles que les autres, et que ces deux parties sont la peinture des caractères et le style. » De ce jugement sommaire, il exceptait seulement, — Et seulement pour la peinture des caractères, — Bertrand et Raton et une scène de l’Ambitieux. Pour Adrienne Lecouvreur, il ne réclamait pas : — ô Brutus !.. — Mais cette faiblesse même qu’il reprochait à la peinture des caractères, nous venons de voir qu’elle est un agrément; et, de même, ce qu’il appelait sévèrement faiblesse de style, n’est qu’une heureuse convenance du langage à la majorité des auditeurs. Voilà, au moins, des façons de parler qui n’embarrassent et n’humilient personne. C’est le vocabulaire et la syntaxe et le ton de la conversation courante chez de fort honnêtes gens, qui sont bien aises de les reconnaître chez la princesse de Bouillon ; introduits chez cette grande dame, ils ne s’y