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on le suppose; on n’éprouve aucun scrupule à faire parler les hommes, à mettre les gouvernemens en scène et les armées en marche. On ne recule devant rien pour donner un instant le frisson à l’opinion par toute sorte de fables plus étranges les unes que les autres, véritables mystifications dont le télégraphe lui-même est le complice. Assurément, si la paix règne encore entre les peuples, si toutes les allumettes répandues en Europe n’ont pas déjà pris feu, ce n’est pas la faute des messagers de mauvais bruits, de ceux qui inventent les nouvelles et de ceux qui les commentent. Il n’y a pas si longtemps, on a eu cette plaisante et fantastique histoire des confidences du ministre de la marine de France, de l’attaque clandestine organisée par l’escadre française contre la Spezzia, de la descente de notre armée en Italie. Tout était prêt: heureusement, les sentinelles de la ligue de la paix veillaient, et le coup a été manqué, la Spezzia est sauvée, Turin a pu dormir tranquille! Un autre jour, plus récemment, c’est une histoire non moins bizarre. La brillante et industrieuse ville de Barcelone se donne le luxe d’une exposition. La reine Christine d’Espagne se dispose à aller en Catalogne inaugurer cette exposition, et le gouvernement français, pour faire honneur à la souveraine espagnole, a chargé d’une mission de courtoisie un de nos plus éminens chefs militaires, M. le général Berge, en envoyant en même temps quelques navires devant Barcelone. Évidemment, cela cachait quelque mauvais dessein. Cette apparition de la flotte française devant Barcelone ne disait rien de bon, et on ne pouvait faire moins que d’envoyer, pour la surveiller, une escadre anglaise, une escadre italienne, une escadre autrichienne, que sait-on encore? Y pensez-vous? La Méditerranée allait devenir un lac français, si les gouvernemens de la grande alliance, dûment avertis, ne prenaient leurs précautions! Une fois réunies dans la Méditerranée, les escadres européennes, après avoir intimidé la flotte française, pourraient au besoin cingler vers le Bosphore, pour aller montrer leurs pavillons et donner à réfléchir à la Russie. Pendant quelques jours, nouvellistes et polémistes ont vécu de ces sottises! — Dernièrement, le tsar, à ce qu’il paraît, aurait rappelé à des fonctions actives un officier soupçonné d’opinions panslavistes et de velléités belliqueuses, le général Bogdanovitch. Aussitôt, le fait a été noté et commenté. Bien mieux, on n’a pas tardé à imaginer une mission secrète du général Bogdanovitch en France; on y a ajouté l’histoire du remplacement prochain de M. de Giers par le général Ignatief, et le sens de ces incidens ne pouvait plus être douteux quand on les rapprochait des armemens persistans, croissans, de la Russie sur la frontière de Galicie, des agitations renaissantes en Orient, en Macédoine, en Crète. Ce ne sont, en vérité, qu’inventions effarées et nouvelles fantastiques ou ridicules répandues à travers l’Europe par