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ondoyante et crespée. » Et cela prouve enfin que les hommes du XVIIe siècle, à la plupart de qui le maniement ou la discussion des grandes affaires étaient interdits, s’en dédommageaient au théâtre, en écoutant Maxime et Cinna discuter sur l’essence du gouvernement monarchique et de l’état populaire. Nous avons payé chèrement le droit d’être plus difficiles.

Ce pourrait être, à ce propos, une étude intéressante et curieuse à faire que celle de la fortune de la « tragédie politique : » genre faux, si la politique et même la morale ne doivent entrer qu’accessoirement dans l’intention d’une œuvre d’art ; genre prétentieux et emphatique, s’il ne saurait appartenir à un bourgeois de Rouen, fût-il l’auteur du Cid, de donner de dessus le théâtre, aux rois, des leçons de leur art ; genre dangereux, si c’est bien enfin dans Corneille et chez ses imitateurs, dans le Manlius de Lafosse, dans le Brutus de Voltaire, dans le Catilina de Crébillon, dans les Warwick ; et dans les Charles IX, c’est-à-dire chez La Harpe et chez Marie-Joseph Chénier que les déclamateurs de la Convention ont puisé leur vocabulaire, leurs maximes d’état, et leur inhumanité. Corneille, dissertateur et sentencieux de nature, — il l’est déjà dans ses comédies, — était comme porté de lui-même vers ce genre de tragédie. Deux ou trois fois, par parties, soutenu qu’il était par un modèle ancien, comme dans Pompée, ou par l’abondance des renseignemens, comme dans Cinna, y avait paru supérieur. La Fronde vint par là-dessus, qui répandit le goût de la politique ; le peuple entra dans le sanctuaire des lois ; « il leva le voile qui doit toujours couvrir tout ce que l’on peut dire, tout ce que l’on peut croire du droit des peuples et de celui des rois ; » on vit des émeutes et des conspirations ; de grands ambitieux, qui étaient aussi de grands étourdis, mêlèrent l’amour et la guerre ; — et l’imitation fit le reste. Mais le genre n’en demeura pas moins faux, et il l’est autant entre les mains de Corneille qu’entre celles de ses successeurs.

Si j’appuie un peu sur ce point, c’est qu’en accordant cette louange à Corneille d’avoir excellé dans la tragédie politique, on le loue comme d’une qualité de l’un de ses pires défauts. J’ai déjà dit quelques mots de son machiavélisme, dont l’étalage aurait souvent quelque chose d’odieux, s’il ne se sauvait de l’odieux par la naïveté.


Tous ces crimes d’état qu’on fait pour la couronne,
Le ciel nous en absout alors qu’il nous la donne ;


ou encore :


La timide équité détruit l’art de régner ;
Quand on craint d’être injuste, on a toujours à craindre,