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mois, de dix mois, M. Pasteur vit que la virulence de ces cultures diminuait progressivement, et que les animaux succombaient de moins en moins sûrement. Avec une culture de dix mois, les poules ne mouraient plus ; tout au plus avaient-elles un petit abcès au point de l’inoculation : mais elles étaient vaccinées.

Les poules étaient vaccinées, c’est-à-dire qu’elles étaient désormais capables de résister à l’inoculation d’une culture douée de son pouvoir virulent le plus intense ; et elles gardaient cette immunité pendant un temps assez long, pouvant excéder une année. Et d’autre part, — fait assurément inattendu, — le microbe, privé de son énergie par l’exposition prolongée à l’air du liquide où il a été ensemencé, faisait souche de microbes dont la virulence se trouvait maintenue au degré où il avait été réduit chez ses ascendans. C’étaient là des observations d’une importance capitale, constituant autant de découvertes qui établissaient la possibilité de constituer des races spéciales de microbes, assujettis, véritablement domestiqués, selon une heureuse expression de Bouley, appropriés, en un mot, aux usages de l’homme, devenu maître de profiter de ce qu’ils ont conservé de puissance pour en faire un moyen de préservation contre les atteintes de la contagion naturelle due aux microbes doués de toute leur activité virulente. Et même ces faits avaient une telle portée que, franchissant les domaines spéciaux de la microbiologie et de la médecine, ils venaient apporter une preuve nouvelle, comme le faisait récemment remarquer M. Bordier, en faveur de la doctrine de Darwin sur la variabilité des espèces. Il est évident, en effet, que l’atténuation de la virulence d’un microbe, si elle est transmissible par l’hérédité, transforme définitivement le microbe, primitivement très dangereux, en un microbe inoffensif, constitue une véritable création expérimentale d’une espèce nouvelle. Et comme cette transformation est réalisée dans un monde où les jours, par le nombre énorme des générations qu’ils comportent, représentent véritablement des siècles, il y a là un argument sérieux en faveur de ceux qui soutiennent que les espèces nous paraissent invariables seulement parce que nos observations sont limitées à des espaces de temps trop courts.

On ne saurait trop insister, d’autre part, sur l’importance, égale au point de vue de la science et de la pratique, d’avoir pu conférer l’immunité contre une maladie par une atteinte légère de cette maladie. Jusqu’alors, on ne connaissait qu’une vaccination, celle qui tirait son nom du vaccin ou cow-pox, maladie de la vache, que l’on inoculait, et qui préservait de la variole. Mais enfin cette connaissance était tout empirique et absolument limitée. Due à un heureux hasard, elle ne constituait qu’un fait isolé, et qui nous laissait dans l’ignorance complète des rapports qui existent entre