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de Wyzewa nous l’a dit, en prose et un peu plus clairement, dans une curieuse Étude sur M. Stéphane Mallarmé : « La mélodie des premiers vers de M. Mallarmé a des emportemens qui rappellent les thèmes juvéniles de Beethoven. » Et plus loin : « La poésie doit être un art, créer une vie. Mais quelle vie? Une seule réponse est possible : la poésie, art des rythmes et des syllabes, doit, étant une musique, créer des émotions. » Et, plus loin encore : « Aux points saillans de ses poèmes, M. Mallarmé dispose des mots précis; c’est le sujet... Il apparaît clairement sous les modulations environnantes des syllabes musicales;.. Malgré ses faiblesses, l’œuvre poétique de M. Mallarmé demeure aujourd’hui le meilleur modèle de ce que peut produire la musique des mots. Elle s’impose... par un charme indéfinissable, issu, je crois, de ces deux caractères : la propriété et la nécessité musicales. M Retenez bien ces explications et ces comparaisons « musicales ; » encore quelques années, et vous les aurez vues envahir la critique et la littérature; Symbolistes et Décadens, leur objet est de rivaliser désormais avec la musique, et par des moyens imités des siens, il s’agit de susciter des émotions musicales.

Qu’il y ait là plus qu’une rencontre, qu’un caprice ou qu’une fantaisie de mélomane, plusieurs observations le prouvent, — Et celle-ci tout d’abord. Aux époques classiques, et chez nous, notamment, au XVIIe siècle, c’est avec le plus abstrait des arts, avec celui que les nerfs sentent le moins, si l’on peut ainsi dire, que la littérature semble vouloir rivaliser. Disposition ou distribution des ensembles, équilibre et proportions des parties, élégance et commodité des « passages » ou transitions, solidité de tout l’ouvrage, l’impression la plus générale que l’on cherche à produire est « architecturale » ou « architectonique; » et le vocabulaire est le même dont on use pour louer la colonnade du Louvre, une tragédie de Racine, et un sermon de Bourdaloue. On dit alors d’une phrase qu’elle est bien construite et d’un livre que le plan en est bien conçu. C’est par un préambule ou par un péristyle que l’on accède au corps de l’ouvrage; on en admire les fondations; on en trouve les lignes harmonieuses, et l’économie sagement ou heureusement entendue. Mais, vers le milieu du XVIIIe siècle, de nouvelles métaphores apparaissent dans la langue de la rhétorique. On ne conçoit plus l’ouvrage comme un édifice, mais comme un tableau; la qualité du style que l’on apprécie le plus, c’en est le coloris; on reproche à un écrivain la sécheresse de ses peintures; et, en effet, avec Buffon; avec Rousseau, avec Bernardin de Saint-Pierre, avec Chateaubriand, c’est le pittoresque qui s’introduit dans la littérature, pour en modifier l’aspect d’abord et bientôt la notion. Déjà dans l’école romantique, le poète et le romancier, Hugo, Gautier, George Sand, rivalisent avec le

peintre, l’égalent ou le surpassent dans leurs descriptions. Les parnassiens