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double servitude à l’endroit du pouvoir central et de l’assemblée départementale, les seconds de leur servitude envers le pouvoir national. On rentrerait ainsi dans l’ordre ; les responsabilités ne seraient plus déplacées. On y gagnerait au point de vue technique et financier ; l’on y joindrait le bénéfice inappréciable de conditions plus favorables à l’exercice de la liberté.

On ne saurait dire à quelle atrophie de l’initiative individuelle conduit le régime français des travaux publics. Habituées à compter sur des subventions de la commune, du département ou du pouvoir central, les diverses agglomérations d’habitans, dans les campagnes surtout, ne savent plus rien entreprendre par elles-mêmes ni se mettre d’accord sur rien. J’ai vu des villages de 200 ou 300 habitans, appartenant à une grande commune dispersée, attendre pendant des années et solliciter humblement des secours pour une fontaine qui leur était indispensable, et que 200 ou 300 francs, soit une contribution de 1 franc par tête, suffisaient à mettre en bon état. J’en ai vu d’autres n’ayant qu’un seul chemin pour faire sortir leurs denrées et ne sachant pas se concerter, quand, avec une première dépense de 2,000 francs et 200 ou 300 francs d’entretien par an, ils pouvaient rendre aisément viable cette seule voie dont ils disposaient. Je parle, cependant, de pays relativement riches, beaucoup plus aisés que la généralité des communes de France.

Il est vrai que l’on adresse à l’initiative privée, en matière de travaux publics, certains reproches dont plusieurs peuvent avoir quelque portée. Mais, outre qu’on exagère les inconvéniens qu’on lui impute, il est facile souvent d’obvier à ceux qui sont réels par un contrôle qui n’a rien d’excessif.

La première de ces critiques, c’est que, en s’en tenant aux entreprises libres non subventionnées et non réglementées, les pays riches ou les quartiers riches sont seuls bien desservis. Ils posséderont plusieurs lignes concurrentes de chemins de fer ou de tramways ou d’omnibus, pendant que les pays ou les quartiers pauvres seraient délaissés. Ce serait là, dit-on, un manque à la justice et à la solidarité nationale. Ce raisonnement contient une sorte de pétition de principe. Il faudrait prouver que la mission de l’état consiste en ce que des territoires, inégalement doués de la nature, inégalement peuplés, fussent également pourvus d’un outillage collectif perfectionné. Or, c’est là un prétendu axiome dont rien ne démontre la justesse. Si l’état ne donne pas de subvention, il n’y a aucune injustice à ce que les pays riches soient mieux pourvus de voies de communication que les pays pauvres ; l’impôt, en effet, n’aura servi à payer aucune partie de ces œuvres. Ensuite cette organisation, qui résulte de la liberté, est plus conforme à l’économie naturelle. Il est inutile de s’obstiner à vouloir maintenir la population