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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/376

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lumière orangée apparurent entre les rideaux, une clarté semi-circulaire se dessina au-dessus de la porte, du vestibule, et la tante Fridis s’élança pour embrasser sa nièce, laissant sur chacune de ses joues élastiques une molle humidité, avec un peu de l’effilé poivre et sel d’un petit châle gris aux boutons de sa jaquette. Aussitôt qu’elle le put, la voyageuse s’échappa, en disant qu’elle prendrait une tasse de thé dans sa chambre, et que sa tante serait la bienvenue ensuite à lui dire bonsoir.

Maintenant Barbara reposait dans un vieux fauteuil recouvert de toile perse, devant un bon feu de châtaignier. Avec quelle vivacité il lui rappelait les jours d’autrefois, ce vieux fauteuil ! Autour d’elle s’agitait la femme de chambre qui l’avait servie jeune fille, une mulâtresse surnommée Ramsès, à cause de son profil égyptien, et portant sur sa tête bizarre des douzaines de petites tresses de laine noire liées par autant de petits cordons blancs. Cette créature allait et venait d’un pas muet et précautionneux, comme celui d’un chat dans l’herbe mouillée; derrière sa maîtresse, en pleine lumière, elle examinait les vêtemens dont venait de se dépouiller la jeune femme, caressant les moelleuses fourrures avec une volupté de connaisseuse, tantôt rapprochant la zibeline de son menton pour regarder dans une psyché à l’ancienne mode l’effet que produirait cette harmonie des couleurs, tantôt y enfonçant son visage bronzé, le dos en l’air, toute frissonnante de plaisir ; et pendant ce temps Barbara songeait, les yeux grands ouverts sur la danse incertaine des flammes, en battant la paume ouverte de sa main du bout frisé de ses cheveux épars. Bientôt, Ramsès se rapprocha d’elle et se mit à chauffer l’intérieur d’une paire de mules à talons rouges, en les présentant au feu, contre lequel en même temps elle se protégeait le visage.

Ce geste alla droit au cœur de Barbara comme un coup de couteau. Valentin, son mari, ne manquait jamais d’en rire quand autrefois la mulâtresse chauffait de même ses pantoufles à lui. Les larmes s’amoncelèrent sous ses grands cils, et sa respiration haletante la secoua des pieds à la tête plus profondément que ne l’eussent fait des sanglots. Ah ! elle avait été folle sans doute de revenir ici, où il était à prévoir que de pareilles coïncidences se présenteraient vingt fois par jour !

Et pourtant il y avait dans ce supplice une amère douceur. Elle promena autour de la chambre un long regard de détresse. C’était une grande chambre aérée comme on les aime dans le Sud. Un délicat mélange de gris et de rose qui faisait penser à l’aurore distinguait la décoration et l’ameublement. Le large lit d’acajou sculpté avait des rideaux roses et blancs, des peaux de chèvres blanches