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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/408

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Une conséquence résulte immédiatement de là, qui fait la deuxième des grandes thèses du cartésianisme : c’est celle de l’Objectivité de la science. En voici le bref résumé : ceux qui ont attaqué la vérité de la science, en s’autorisant contre elle de ses erreurs, n’ont connu ni la nature de l’erreur, ni celle de la science. L’erreur ne prouve que contre celui qui l’a commise, et, contre celui-là même, tout ce qu’elle prouve, c’est qu’il a confondu « le sensible » avec « l’intelligible, » ce que Descartes appelle ses idées « adventices » ou « factices, » avec ses idées « innées. » On peut d’ailleurs donner une confirmation a posteriori de l’objectivité de la science, si par exemple, comme il fait en son Traité du monde, il n’y a pas un phénomène ou une apparence dont on ne fournisse une explication mécanique, géométrique par conséquent, et par suite enfin rationnelle. La vérité ne dépend donc pas de la constitution de nos organes ; elle est la trace ou le souvenir en eux, si l’on peut ainsi dire, de sa propre manifestation ; ou encore, et puisque la raison et la vérité ne font qu’un, la science n’est que l’expression des correspondances qui existent entre elles à travers l’étendue.

De la combinaison de ces deux idées, il s’en forme une troisième : c’est celle de la Toute-Puissance de la Raison. La raison peut tout dans sa sphère, et rien ne la dépasse ; elle est égale ou adéquate au monde. Quœlibet intelligentia potest intelligere, quia omne intelligibile. Cette formule est de Dans Scot, un de ces scolastiques dont je ne répondrais pas qu’à La Flèche, ou ailleurs. Descartes n’ait pas lu les Barbouillamenta. Une fois dégagés des illusions des sens et de l’imagination, nous sommes les maîtres de l’univers; et, sortis de la région du doute, nous entrons pour jamais dans celle de la certitude et de l’immuable vérité. Avec un peu de matière et de mouvement nous pouvons créer le monde, et avec un peu de patience ou de persévérance nous pouvons obliger la nature à nous livrer ses derniers secrets. Car la méthode est infaillible, et si l’ancienne ignorance ne provenait que de ne l’avoir pas connue, l’erreur ne procédera désormais que de l’avoir mal appliquée. Qu’on nous donne seulement le temps : ce qui est obscur s’éclaircira; les problèmes qui résistaient aux vains efforts de l’imagination, la raison les résoudra; nous verrons les liaisons des effets et des causes ; et nous connaîtrons enfin la formule ou la loi suprême dont les sciences particulières ne sont encore jusqu’ici que de lointaines approximations.

C’est ainsi qu’une quatrième idée, celle du Progrès à l’infini, s’ajoute aux précédentes, les prolonge, et les continue, — d’autant plus naturellement que Descartes n’a jamais séparé l’idée de la science de celle de ses applications, la physiologie de la médecine,