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moins pianiste que l’un et plus symphoniste que l’un et l’autre. Il ne fait pas comme Chopin étalage inutile de virtuosité ; il ne coquette pas avec l’idée mélodique ; il ne l’enguirlande pas des ornemens, des fioritures qui trop souvent affadissent et efféminent le style du maître polonais.

Si M. Tschaikowsky rappelle parfois Schumann, ce n’est pas qu’il l’imite ; chez lui, pas de ces réminiscences formelles qui ressemblent à des copies. Une ressemblance plus vague et plus générale rapproche deux esprits qui sont un peu de même race et de même famille. Deux musiciens d’ailleurs, plus facilement que deux écrivains, peuvent se ressembler tout en gardant une certaine originalité respective. En musique plus qu’en littérature, les moyens sont nombreux de varier l’expression de pensées analogues, fût-ce de la même pensée.

Comme celle de Schumann, la musique de M. Tschaikowsky est le plus souvent triste ; mais d’une tristesse moins amère et moins violente.

Et puis M. Tschaikowsky a été préservé des défauts de Schumann : du vague, de la longueur, par les qualités classiques que nous signalions déjà dans ses œuvres d’orchestre, et que nous retrouvons beaucoup plus marquées dans ses œuvres de piano. Aux pièces pour piano, nous ne ferons même plus les reproches que nous adressions aux pièces orchestrales, notamment au poème symphonique de Françoise de Rimini. Ici, les dimensions sont modérées et les proportions justes. Claires, nettes, les idées se développent avec richesse, mais non avec surabondance. Elles marchent parfois avec des détours ingénieux et de charmans caprices, mais sûres de retrouver la route, dont elles s’écartent sans s’égarer.

il y a dans cet œuvre de piano de petits chefs-d’œuvre de concision, par exemple la Polka de salon, op. 9, no 2, preste, dégagée, sans une note inutile. L’Humoreske, op. 10, no 2, est écrite à l’emporte-pièce. Elle a de plus une couleur spéciale, le rythme et la mélodie d’une chanson populaire. Le Scherzo et le Chant sans paroles qui vient après sont deux bijoux. J’aime surtout au milieu du scherzo quelques pages mélancoliques écrites dans une tonalité charmante, où le piano peut arriver presque à des effets d’orchestre. Le Chant sans paroles est original, d’une finesse et d’une grâce achevées. Il faudrait encore citer bien des pages : la Valse-Scherzo, op. 7, écrite dans la bonne manière de Chopin ; la Rêverie du soir, op. 19, no 1 ; enfin une Mazurka, op. 21, no 3, la troisième de six pièces différentes composées sur un seul thème. Tout cela est à lire, et à relire, car la musique de M. Tschaikowsky, presque toujours très difficile, gagne à être étudiée avec soin, comme elle est écrite.

Quant aux lieder du musicien russe, on retrouve en eux les belles