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traditions du lied allemand: celui de Schubert et surtout celui de Schumann.

On peut les diviser, comme ceux des maîtres allemands, en deux catégories : les simples mélodies, chants de tristesse, de joie, de prière ou d’amour, et les scènes ou récits, qui forment pour ainsi dire de petits drames. Dans tous apparaît un des signes les plus caractéristiques de la musique vocale moderne, musique de théâtre ou simple musique de chant : l’importance, l’intérêt donné à l’accompagnement d’orchestre ou de piano.

Prenons au hasard un lied de M. Tschaikowsky, l’un des plus simples:


Vous ignorez qui j’ose aimer. Dois-je le dire?
Non, je ne puis vous la nommer pour un empire.


Eh! mais! c’est la chanson de Fortunio. Elle-même, traduite d’abord en russe, puis en allemand et retraduite en français. Elle a bien souffert de toutes ces traductions, la pauvre petite chanson d’amour. Il y a surtout un vers pénible pour les fervens d’Alfred de Musset, dont nous sommes :


Nous la comparerons aux blés, car elle est blonde !


Enfin! Ce n’est plus du Musset, voilà tout. — Ce n’est pas non plus de l’Offenbach. Le temps est passé des romances à couplets pareils. Elle était cependant bien jolie, la Chanson de Fortunio ce Voi che sapete d’Offenbach, avec son accompagnement tout uni, sa mélodie juvénile, presque enfantine, glissant doucement sur des notes timides et comme étonnées. Puis la seconde strophe prenait un petit air hardi, chevaleresque, et la dernière s’achevait, attendrie, dans un soupir langoureux.

Tout autre est le lied de M. Tschaikowsky. Dès le début de la ritournelle, des syncopes; une mélodie gracieuse, mais un peu incertaine et flottante ; d’ingénieuses réponses de l’accompagnement au chant ; puis un éclat de passion peut-être exagéré ; des réticences, des suspensions, mille nuances délicates et une cadence finale charmante; mais en somme trop de recherche et pas assez de naïveté. Si j’étais Fortunio et si je dînais chez maître André avec Jacqueline, c’est, je crois, la chanson d’Offenbach que je chanterais.

Voici deux lieder très pathétiques et très beaux. Le premier, imité de Henri Heine, s’appelle : Pourquoi?

« Pourquoi les roses sont-elles si pâles, dis-moi, ma bien-aimée, pourquoi?