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sa tragédie, c’est encore Dumas. Beaucoup plus d’ailleurs qu’à une tragédie de Racine ou de Corneille, le Caligula de Dumas, pour la façon en même temps exacte et libre dont il est traité, — libre au fond, trop libre même, dans la combinaison des événemens comme dans l’expression des sentimens, exacte quant au détail et à la fidélité relative du décor et du costume, — ressemblerait à la Théodora de M. Victorien Sardou. Nous aimons aujourd’hui ces « restitutions » ou « restaurations, » qui tiennent de la peinture ou de l’art du décorateur autant que de celui de l’auteur dramatique, Et, en vérité, l’autre soir, à l’Odéon, le décorateur avait si bien fait les choses, et le metteur en scène, et le costumier, que, si je ne saurais garantir l’exactitude ou l’authenticité de la « restitution, » je serais injuste, maussade et chagrin de n’en pas louer au moins la vraisemblance, la couleur et le vif intérêt de curiosité. Le Prologue surtout, quoique d’ailleurs un peu long, comme au surplus tout le drame, a paru amusant. On sait qu’il est célèbre dans les fastes du romantisme. Lorsque plus personne en France ne connaîtra Caligula, l’empire et les Romains que par un ouï-dire de ouï-dire, — ce qui ne saurait manquer d’arriver prochainement, — il passera sans doute aussi pour instructif.

Quant au drame lui-même, la seule façon dont il a été l’autre soir accueilli par le public de l’Odéon est ce qu’on appelle un signe des temps. Je ne connais rien de plus étrange, de plus confus en son genre, qu’un long récit du premier acte, où la sœur de fait de Caligula raconte à sa mère l’histoire de sa conversion, et, à cette occasion, l’histoire des origines du christianisme, embrouillée dans celle de Lazare et de Madeleine. On l’a cependant beaucoup applaudi, et c’est peut-être parce qu’il est très long; mais, si M. Renan était dans la salle, et que ma curiosité ne fût pas indiscrète, j’aimerais savoir ce qu’il a pensé de ces applaudissemens et du récit de Stella. J’ai vu peu de choses qui prêtent plus à rire que la première scène du deuxième acte, où Caligula, tremblant de peur et de colère au bruit d’un orage qui passe sur le Palatin, nous manifeste son effroi par des imprécations, des sermens et des vœux. On l’a encore beaucoup applaudie; et il est vrai que le tonnerre était bien imité, comme aussi que M. Garnier, qui est excellent dans le rôle de Caligula, a très bien joué cette courte scène: Je n’en sache guère enfin de plus odieuse ou même de plus brutale que la cinquième du même acte, lorsque Caligula, comme un fauve sur sa proie, se précipite à nos yeux sur Stella, qu’il a fait enlever à sa mère, je n’en sache pas qui soit d’un réalisme plus repoussant et plus voisin de l’inconvenance. On l’a encore beaucoup applaudie, et je consens que le jeu sec et anguleux de Mlle Segond-Weber ait diminué quelque chose de l’effet naturel de la scène. De telle sorte que l’on pourrait dire que ce qui a jadis le plus choqué les spectateurs de 1837, c’est ce qui, l’autre soir, a le plus a empoigné » ceux de 1888 : il faut