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pressement ; eux-mêmes paraissaient enchantés de la tournure que prenait l’affaire qu’ils étaient venus traiter en si haut lieu.

Ces deux hommes, le père et le fils, étaient deux habitans de Nantucket, délégués par leurs compatriotes ; ils venaient proposer au roi de France de transporter à Dunkerque leur industrie, leurs navires et tout un peuple de marins, de charpentiers, de tonneliers, de harponneurs, avec leurs familles. Voici quelle suite d’événemens avait conduit à Versailles nos deux quakers.

Après la guerre de l’indépendance, les Anglais. n’avaient pas épargné les vexations à leurs anciens compatriotes. Ils avaient fermé le marché aux baleiniers des États-Unis, qui, d’autre part, ne pouvaient pas encore trouver chez eux l’écoulement de leurs projets. C’était la ruine. Ceux de Nantucket chargèrent en conséquence deux des leurs, William Roth et son fils Benjamin, d’aller obtenir quelques concessions du gouvernement anglais (1785). Par divers intermédiaires, W. Roth eut assez vite une audience du chancelier de l’échiquier, qui n’était autre que Pitt. Il lui offrit de s’établir en Angleterre avec trente navires et cent familles de cinq personnes, versées dans toutes les industries de la pêche au cachalot, moyennant une indemnité de 20,000 livres. Le gouvernement anglais chargea de suivre l’affaire un certain lord Hawkesbury, connu par son peu de sympathie pour l’Amérique, qu’il ne cherchait pas d’ailleurs à déguiser. Peut-être l’avait-on choisi à dessein ; tant est-il que les choses traînèrent. Finalement, notre quaker paraît avoir perdu patience et déclara un beau jour à lord Hawkesbury que, s’il n’avait pas une solution immédiate, il allait passer le détroit et faire les mêmes offres au roi Louis XVI : « Ah dit l’Anglais, des quakers en France ! — Oui, répliqua l’autre, à regret. »

Mais il fit comme il avait dit. W. Roth arriva à Dunkerque, et de là adressa ses propositions à Versailles, où on le manda aussitôt avec son fils. On fit aux deux Américains l’accueil qu’on a vu. Le maître des requêtes auquel revenait le soin de recevoir leurs offres et de faire ses remarques les avait déjà examinées et annotées. Les propositions comportaient : 1° une entière et libre pratique de la religion selon les principes du peuple appelé « quakers. » Le ministre avait écrit en marge « accordé. » 2" Une exemption absolue de tout service militaire d’aucune sorte. Le ministre avait mis en note que, comme les quakers sont tous gens pacifiques, qui ne se mêlent jamais des querelles des princes, soit à l’intérieur, soit à l’extérieur du pays, leur demande pouvait être accueillie. Les autres propositions avaient trait aux arrangemens de pêche.

Lorsqu’ils avaient été introduits devant Calonne, ils lui dirent pour quelle raison ils n’ôtaient pas leurs chapeaux. Calonne ré-