Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/688

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans l’entretien que j’eus l’honneur d’avoir avec le khédive, je me souviens bien qu’il s’exprima ainsi au sujet de son manque d’énergie: « On me reproche, dit-il, d’être faible ; mais sans argent, sans armée, sans indépendance, que puis-je faire? On me dit souvent de faire un coup d’état ; mais les coups d’état retombent plus tard à la longue sur ceux qui les commettent. Je reste fidèle à la constitution égyptienne, et c’est tout ce qu’il m’est possible de faire. Pour gouverner ce pays, — autant toutefois qu’il m’est permis de le gouverner, — j’ai assez de mes ministres et de ma chambre de notables. Je ne lui donnerai jamais un parlement... A quoi bon? Est-ce que vous croyez que le vôtre vous fait grand honneur, et, en 1870, n’a-t-il pas voté la guerre? Que savait-il de l’Allemagne? » Puis, passant à un autre ordre d’idées, le prince me demanda si j’étais déjà venu en Égypte, et sur ma réponse affirmative : « Avez-vous vu beaucoup de changemens? — De considérables, répondis-je, surtout à Alexandrie. Cette ville, que j’avais toujours vue belle et florissante, a été bouleversée par les obus anglais ! — Oui, les Anglais ont abîmé ma jolie ville d’Alexandrie, mais les rebelles m’ont fait plus de mal qu’eux, reprit l’altesse avec beaucoup de vivacité. L’insurrection d’Arabi est cause de tous les malheurs de ce pays ; elle ne se fût pas produite si des Européens, pour renverser un ministère qui leur déplaisait, n’eussent pas prêté étourdiment leur appui moral à un colonel ambitieux, celui qui a été un instant le Boulanger égyptien. »

Ceci fut souligné, et d’une façon désagréablement significative pour qui l’entendait. Cette ingérence regrettable des agens consulaires dans des matières où leur rôle eût été de se tenir effacé m’a été confirmée par d’autres personnes que par son altesse; Riaz-Pacha est l’une d’elles. En moins de quatre ans, l’agence française du Caire a vu son titulaire se renouveler jusqu’à huit fois lorsque l’agence anglaise n’en a eu qu’un seul. Qui ne verra dans ces fréquens changemens la perte de notre influence? La faute en est moins aux membres du corps diplomatique qu’aux trop fréquens changemens de nos ministres des affaires étrangères. Mais quel est le député qui, renversant un cabinet, s’occupe jamais du contre-coup que son vote peut avoir au dehors ?

Au sujet des antiquités, momies, dieux de toute sorte que l’on continuait à découvrir en Égypte, le khédive me dit avoir donné de nouveaux ordres pour en défendre la sortie. « Bientôt pour voir un obélisque, de ceux qui remontent aux temps les plus reculés, il me faudra, dit-il en souriant tristement, faire un voyage à Londres ou à Paris. »


EDMOND PLAUCHUT.