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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/716

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de se servir des lois, de faire respecter les lois? Mais c’est le gouvernement lui-même qui les laisse violer, qui donne l’exemple de toutes les faiblesses. Que parle-t-on de conspirations à combattre, à réprimer? Mais la plus dangereuse des conspirations est celle qui a préparé depuis longtemps, qui a créé cette situation. Et c’est parce qu’il en est ainsi, parce qu’on sent que la loi n’est plus rien, que la défiance est partout, qu’on s’attend à tout. C’est parce que le pays, éprouvé et éclairé par une expérience meurtrière, voit successivement toutes ses garanties périr, la protection des lois lui manquer, l’honneur de sa vie publique terni par d’indignes querelles, tous ses intérêts compromis, sa paix menacée, c’est parce qu’il voit tout cela qu’il demande autre chose. Il ne sait peut-être pas avec précision ce qu’il demande. Il sait ce qu’il ne veut pas; il est excédé des vilenies, des commérages, des manifestations et des jactances de parti.

Aujourd’hui, la crise est arrivée à un degré si extrême et a pris un tel caractère qu’il faut nécessairement prendre un parti si on ne veut pas que le hasard décide, que l’imprévu se charge du dénoûment avant les élections, vers lesquelles on marche à grands pas. Rester dans les conditions où l’on se débat sans savoir où l’on va, avec un ministère qui n’est qu’un radicalisme agité et agitateur au pouvoir, ce n’est pas une solution. Il est bien évident que ce ministère, par ses actes, par ses connivences, par ses projets, ne fait que précipiter la désorganisation de nos dernières forces en accélérant du même coup le mouvement de répulsion et de résistance dans le pays. Et qu’on le remarque bien : le ministère eût-il l’énergie qu’on lui conseille, voulût-il essayer d’en finir par quelque coup d’autorité, en faisant le procès du général Boulanger et de tous ceux qu’il appelle des conspirateurs, on n’en serait pas plus avancé. La situation serait la même le lendemain. Le ministère Floquet resterait ce qu’il est, avec son programme représentant devant l’opinion la révision, l’alliance avec la commune, l’impôt sur le revenu, la guerre aux croyances, l’agitation indéfinie, c’est-à-dire tout ce qui froisse l’instinct du pays, tout ce qui fait la force du général Boulanger ou de tout autre qui le remplacera. Le danger, c’est cette politique suivie jusqu’ici; la continuer, en l’entremêlant de quelques violences nouvelles, c’est aller au-devant de complications croissantes, c’est aggraver et envenimer la crise. Le ministère Floquet n’est donc pas une solution. Que pourrait-on faire alors? Récemment, un écrivain certainement bien inspiré publiait, sous la forme d’une lettre à M. Carnot, quelques pages auxquelles il donnait le titre : le Mal et le Remède. Le mal, on le connaît, on sait où il est, on le sent partout. Le remède est un peu plus difficile à trouver ou du moins à appliquer; il ne pourrait être, à vrai dire, que dans la reconstitution d’un gouvernement réparateur, raffermissent