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sérieux pour relever la direction des affaires du pays. Elle finit à l’heure qu’il est sous le règne d’un ministère radical et d’un parlement épuisé, au milieu d’un doute universel, des menaces d’anarchie ou de dictature, des avertissemens peut-être inutiles, et des lassitudes croissantes de l’opinion. Voilà la préface que l’année expirante a donnée d’avance à l’année nouvelle ! L’œuvre qui va suivre maintenant ne fera-t-elle que continuer la préface ? C’est là pour le moment toute la question.

On ne peut plus s’y tromper ; dans tous les cas, ce qui se passe aujourd’hui, ce qui se prépare pour l’année où nous entrons, c’est la crise décisive de la république, coïncidant, par une ironie singulière, avec la célébration fastueuse de la révolution française. Ce qu’il y a de tout aussi évident, c’est que cette crise, ce sont les républicains eux-mêmes, opportunistes et radicaux, qui l’ont créée et aggravée, qui l’aggravent tous les jours par leurs procédés, par leurs lois, par une politique de parti dont l’unique résultat a été de tout ébranler. Ce qu’il y a de plus clair encore, c’est que, s’il reste quelque moyen de sortir de cet état aigu, où l’on sent que tout est devenu possible, il n’y en a qu’un. Quel est-il donc ? Ce n’est point apparemment de pousser à outrance cette désorganisation radicale à laquelle préside M. Floquet, avec une vanité satisfaite, en homme qui ne doute de rien et ne voit rien, si ce n’est son propre personnage ; ce n’est certes pas non plus de prétendre continuer la même politique avec de médiocres palliatifs ou de petits expédiens pour essayer de retrouver quelques morceaux d’un pouvoir qu’on a perdu. Le seul moyen, s’il peut être encore efficace, serait de se placer résolument en face d’une situation si étrangement compromise, d’oser avouer qu’on s’est trompé, de compter avec l’opinion désabusée et irritée, d’accepter sans faiblesse les conditions d’un gouvernement sensé, libéral et conservateur, rassurant pour les consciences comme pour l’ordre financier, pour tous les intérêts du pays. C’est le seul moyen digne d’être tenté, et c’est justement ce qui fait l’autorité du langage que M. Challemel-Lacour a tenu il y a quelques jours devant le sénat, dans un discours qui est un acte de politique clairvoyant en même temps qu’une œuvre de forte et saisissante éloquence.

Celui-là, on ne l’accusera pas de ne point être républicain : il l’était probablement avant la plupart de ceux dont il vient de secouer l’optimisme et qui lui font aujourd’hui si plaisamment la leçon. On ne l’accusera pas d’être clérical ; il a toujours été l’imperturbable défenseur de la liberté de penser. On ne lui reprochera pas de paraître favoriser, par ses sévères critiques de la politique du jour, les aspirations dictatoriales : il a l’antipathie dédaigneuse d’un vieux libéral contre toutes les résurrections césariennes, encore plus contre le despotisme démagogique d’un aventurier, dont l’avènement lui semblerait