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En Algérie et dans le Sahara algérien, toutes les femmes, celles des villes comme celles des tribus, sont vêtues de blanc. En Tunisie, au contraire, celles des cités sont enveloppées de la tête aux pieds en des voiles de mousseline noire qui en font d’étranges apparitions dans les rues si claires des petites villes du sud, et celles des campagnes sont habillées avec des robes gros bleu d’un gracieux et grand effet, qui leur donne une allure encore plus biblique.

Nous traversons maintenant une plaine où l’on voit partout les traces du travail humain, car nous approchons du centre de l’Enfida, baptisé Enfidaville, après s’être nommé Dar-el-Bey.

Voici là-bas des arbres! Quel étonnement! Ils sont déjà hauts, bien que plantés seulement depuis quatre ans, et témoignent de l’étonnante richesse de cette terre et des résultats que peut donner une culture raisonnée et sérieuse. Puis, au milieu de ces arbres, apparaissent de grands bâtimens sur lesquels flotte le drapeau français. C’est l’habitation du régisseur-général et l’œuf de la ville future. Un village s’est déjà formé autour de ces constructions importantes, et un marché y a lieu tous les lundis, où se font de très grosses affaires. Les Arabes y viennent en foule de points très éloignés.

Rien n’est plus intéressant que l’étude de l’organisation de cet immense domaine où les intérêts des indigènes ont été sauvegardés avec autant de soin que ceux des Européens. C’est là un modèle de gouvernement agraire pour ces pays mêlés où des mœurs essentiellement opposées et diverses appellent des institutions très délicatement prévoyantes.

Après avoir déjeuné dans cette capitale de l’Enfida, nous partons pour visiter un très curieux village perché sur un roc éloigné d’environ 5 kilomètres.

D’abord nous traversons des vignes, puis nous rentrons dans la lande, dans ces longues étendues de terre jaune parsemées seulement de touffes maigres de jujubiers.

La nappe d’eau souterraine est à 2 ou 3 ou 5 mètres sous presque toutes ces plaines, qui pourraient devenir, avec un peu de travail, d’immenses champs d’oliviers.

On y voit seulement, de place en place, de petits bois de cactus grands à peine comme nos vergers.

Voici l’origine de ces bois.

Il existe en Tunisie un usage fort intéressant, appelé droit de vivification du sol, qui permet à tout Arabe de s’emparer des terres incultes et de les féconder si le propriétaire n’est point présent pour s’y opposer.