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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/611

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bientôt, heure inéluctable, où il lui faudra retirer ses troupes. Et, en effet, pour justifier aux yeux de l’Europe un protectorat arbitraire et par trop prolongé, l’Angleterre s’était retranchée jusqu’ici derrière la nécessité de préserver le canal de Suez contre toute atteinte des révolutionnaires de l’école d’Arabi. Ses intérêts aux Indes-Orientales lui en faisaient une loi, prétendait-elle, comme s’il n’en était pas de même pour l’Espagne aux Philippines, la Hollande à Batavia, pour l’Allemagne à Zanzibar, l’Italie à Massaouah et la France au Tonkin ! Aujourd’hui que la neutralité du canal vient d’être garantie par toutes les puissances, — grâce aux efforts d’une diplomatie dont à Constantinople il a bien fallu reconnaître la droiture et le désintéressement, — un plus long séjour des régimens sur les bords du Nil serait impossible à justifier. L’Angleterre, plus que n’importe quelle nation, est même tenue de faire oublier que c’est elle qui, la première, à la suite de l’insurrection d’Arabi, à violé une neutralité tacitement observée par tous. Qu’elle se hâte de rendre l’Égypte à ses maîtres, pour ne pas justifier les propos de Gordon et de ceux qui prétendent que les traités auxquels elle met sa signature n’offrent pas toutes les garanties désirables.

Qu’aurait à faire son altesse le khédive après la libération du territoire ? Un manifeste solennel déclarant qu’elle place l’Égypte, désormais pays neutre, sous la protection de l’Europe unie, mais en reconnaissant à des mandataires choisis avec le plus grand soin par celle-ci un droit de surveillance et de direction dans les affaires financières. Cette surveillance et cette direction, motivées par une grande dette publique antérieure à son avènement, cesseraient le jour même où le pays, débarrassé de ses plus grosses créances, serait assez fort, assez libre de ses mouvemens pour se gouverner lui-même. Et que faudrait-il pour obtenir ce résultat? Un ministre des finances économe et intelligent; un dispensateur des eaux du Nil qui ne confondît pas ce fleuve avec le Gange ; une armée aussi réduite que possible; une police très forte, habilement organisée ; des cheiks responsables des vols ou des crimes qui se commettraient dans leurs juridictions, enfin une Égypte n’ayant qu’une seule pensée, un seul but : faire rendre à son sol merveilleusement fécond les produits d’une culture bien comprise et intelligemment exploitée.


EDMOND PLAUCHUT.