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Bruxelles, puis passer en Angleterre. Il vivait là, découragé, sans ressources, aux prises avec toutes les misères de l’existence, mais travaillant sans relâche à la formation de son esprit et au développement de sa pensée. Quand il rentra en France, au printemps de 1800, les grandes lignes du Génie du christianisme étaient tracées Déjà, et le manuscrit d’Atala était prêt à imprimer.

Revenu à Paris, il y resta près de trois ans avant de songer à se rendre en Bretagne et à se réunir à Mme de Chateaubriand. Et pourtant les dix années qui venaient de s’écouler depuis qu’il s’était séparé d’elle avaient été remplies de plus d’événemens, de tristesses et de deuils que n’en comporte dans les temps ordinaires toute une existence humaine. Après avoir enduré toutes les angoisses de la captivité sous la Terreur, après avoir vu mourir successivement Mme de Chateaubriand mère, Julie de Farcy, sa belle-sœur, M. de Caud, mari de Lucile, et enfin la jeune Mme de Chateaubriand, belle-sœur du chevalier et petite-fille de M. de Malesherbes, Céleste de Chateaubriand était demeurée seule, comme veuve et dans un état voisin de la misère. Elle n’avait pas d’autre société que celle de Lucile, et celle-ci n’était déjà plus l’amie tendre et bienfaisante des années de jeunesse ; son cœur ni sa raison n’avaient pu résister à la violence des crises qu’elle venait de traverser : inquiète, déprise de la vie, tourmentée de maux imaginaires, assiégée de terreurs, elle était devenue violente, agressive, imposant à sa belle-sœur la tyrannie d’une humeur fantasque et les caprices d’une affection aussi jalouse que désordonnée.

Mais Pauline de Beaumont était entrée dans la vie de Chateaubriand, et le charme, encore nouveau, de cette affection, lui avait fait tout oublier.

Enfin, le 27 novembre 1802, au retour d’un voyage d’affaires qui l’avait appelé dans le Midi, il se décida à passer par la Bretagne et à faire visite à la vicomtesse. Il demeura tout juste vingt-quatre heures auprès d’elle. Quel accueil reçut-il? Quelle fut la physionomie de cette courte entrevue? Aucun témoignage écrit ne l’a révélé. Mais nous savons, par Chateaubriand lui-même, quel en fut le résultat : « Mme de Chateaubriand devait aller me rejoindre à Rome, écrit-il dans les Mémoires d’outre-tombe et M. Joubert parlait de l’y accompagner. »

Il venait, en effet, de solliciter un poste diplomatique; on l’avait désigné pour les fonctions de secrétaire à l’ambassade de Rome, et, avant de s’y rendre, il avait, sur les conseils pressans de Fontanes et de Joubert, estimé convenable de régulariser sa situation conjugale en reprenant la vie commune. Ainsi s’expliquait ce voyage en Bretagne, entrepris à l’insu de Mme de Beaumont.