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Mme de Chateaubriand prit immédiatement ses dispositions de départ. Ses préparatifs terminés, elle allait se mettre en route, quand subitement elle apprit que sa place n’était plus à Rome.

Sans souffle, sans voix, se soutenant à peine, Mme de Beaumont l’y avait précédée. Avant que de quitter la vie, elle avait voulu revoir celui qu’elle aimait d’un amour supérieur à tous les désenchantemens, celui vers qui allaient les dernières ardeurs de son âme expirante. En vain ses amis l’avaient-ils dissuadée de cette folie suprême : elle s’y était acharnée avec l’obstination désespérée d’une mourante.

La nouvelle de son départ pour l’Italie produisit un grand émoi dans le cercle de la rue du Luxembourg. Fontanes, qui avait recommandé Chateaubriand au choix du premier consul pour la place de secrétaire auprès du cardinal Fesch, en eut un vif mécontentement. « Pour comble de ridicule, écrivait-il à Guéneau de Mussy (5 octobre 1803), Mme de Beaumont est en Italie et se rend à Rome. Je suis désolé. Le maître s’est plaint hautement de ce choix. Je défends le mieux possible mon ami, mais que puis-je contre l’orage? » L’amitié plus tendre et plus indulgente de Joubert ne fut pas moins alarmée, et il fit entendre à Mme de Beaumont, sous la forme la plus affectueuse, les plus doux reproches : « Nous parlons sans cesse de vous dans tous les coins de la maison, mon frère, Mme Joubert et moi. Je ne leur dis pas à eux-mêmes la moitié de ce que je souffre, et nous n’avons encore parlé à personne de ce quartier d’hiver qui nous désole. Vous mettez cette amitié que nous avons pour vous à une épreuve bien rude, en nous réduisant, par le parti que vous avez pris, à l’impossibilité de vous être bons en quoi que ce soit... Il y aurait eu peut-être plus de prudence ou de ménagemens à me taire à cet égard; mais j’aurais trop blessé la vérité, et j’ose croire que vous aimerez mieux ma sincérité qu’une réserve qui, en vous laissant ignorer que vous m’avez affligé mortellement, vous aurait caché ce dernier et nouveau témoignage d’une affection sans bornes et que rien ne saurait diminuer le moins du monde. »

Un mois plus tard, le 6 novembre 1803, celle qui n’avait tenu à la vie que par les liens de l’émotion et de la souffrance, et dont la fragile nature rappelait « ces figures d’Herculanum qui coulent sans bruit dans les airs, à peine enveloppées d’un corps, » Pauline de Beaumont s’éteignait à Rome.

Le lendemain des funérailles, Chateaubriand écrivit à Chênedollé : « Tout est fini pour moi : Mme de Beaumont n’est plus ; je n’ai d’autre consolation que d’avoir honoré un peu ses cendres. » Et il ajoutait : « Je serai à Paris au mois de janvier et en Bretagne peu