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une renommée modeste et aimable, quelque chose comme un peu de clair de lune adouci par un voile de nuages sortant d’une nuit longtemps noire. En remontant le courant qui les avait produits, ils avaient reconnu en Collins la molécule première, tout à fait irréductible et indivisible, de la poésie nouvelle qu’ils s’efforçaient de faire triompher.

A Dieu ne plaise que nous cherchions à faire notre poète plus grand qu’il n’est, car c’est par sa petitesse même qu’il est sympathique et instructif. Collins est ce que j’ai dit, un atome; mais un atome d’une qualité singulièrement précieuse et rare, et qui, dans sa mobile ténuité, possède une importance littéraire véritable. Les pages qui suivent manqueraient donc leur but si elles ne retenaient pas le lecteur sur le terrain de l’infiniment petit; mais elles le manqueraient également si elles ne réussissaient pas à associer à cet infiniment petit cette sorte de grandeur qui est repliée en tout germe, ce germe fût-il plus exigu que le grain le plus invisible de pollen fécondant.


I.

De la restauration des Stuarts aux approches de la révolution française, le pâle troupeau des talens malheureux, pour employer l’expression d’Auguste Barbier dans son sonnet à Mazaccio, s’est recruté en Angleterre de très nombreuses victimes, et notre poète d’aujourd’hui en fut une des plus regrettables, sinon des plus douloureuses. La thèse pessimiste qu’Alfred de Vigny a si mélancoliquement plaidée dans Stello se présente d’autant plus naturellement au souvenir qu’une des trois victimes de son livre appartient au XVIIIe siècle anglais. Les faits, il faut l’avouer, justifient assez bien cette thèse, et cependant si, oublieux volontairement du précepte d’Horace, simplex duntaxat et unum, nous nous attardions pour évoquer quelques-unes de ces pâles ombres, je crois fort qu’elles auraient à nous donner une leçon autrement pessimiste que la thèse de Vigny, et que leurs accusations viseraient plus haut encore que la monarchie ou le gouvernement parlementaire. Elles nous diraient en effet de quelles ressources infinies disposent la nature, le hasard et la fortune pour rendre les hommes malheureux.

La variété de ces ressources apparaît clairement dans l’histoire de William Collins. Ni les circonstances de la famille, quoiqu’il fût d’extraction modeste, ni les circonstances de la fortune, quoiqu’il ait eu quelques quarts d’heure besogneux à l’excès, ne lui furent défavorables. Les amitiés sincères et fidèles ne lui manquèrent pas, ni les juges sympathiques et affables jusque dans leur sévérité,