Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/850

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obligeait à disparaître dans les boutiques, dans les rues latérales, dans les maisons. La populace de Zanzibar, mal élevée comme toutes les populaces, jugeait cet usage oppressif et se dérangeait mal volontiers pour d’autres que les esclaves redoutés du palais impérial. Après les gardes en armes marchait leur maîtresse, enveloppée jusqu’aux yeux dans la pièce de soie noire, bordée de couleur ou d’or, appelée le schele, les pieds chaussés de souliers de maroquin rouge à fines broderies et à hauts talons; une femme arabe de condition moindre l’accompagnait, et la marche était fermée par une bande d’esclaves femelles, parées de leurs plus beaux atours. La troupe brillante cheminait avec dignité par les rues tortueuses et obscures, jusqu’au moment où elle rencontrait le cortège d’une amie en route vers le même but. On s’abordait et on se mêlait; le babil et les apostrophes dominaient le cliquetis des armes ; les habitans allongeaient des têtes curieuses par les fentes des portes, par les fenêtres, par-dessus le rebord des toits en terrasse, et c’était à travers une ville émue qu’on arrivait à la maison de l’hôtesse. « — On aurait pu nous suivre à la trace, disent les Mémoires longtemps après notre passage, aux parfums pénétrans et tenaces dont les rues demeuraient pleines. » A minuit, chacun était rentré chez soi, et l’on se couchait avec la conscience d’avoir bien et utilement employé sa journée. « — On voit, ajoute triomphalement la princesse Salmé, combien il est faux que les Orientales de distinction ne fassent rien. » En effet.

De temps en temps, on tourmentait le pacifique Sejjid-Saïd pour qu’il permît à une portion du harem d’aller en vacances dans une de ses plantations. Le bonhomme cédait. Filles et femmes partaient au point du jour, grimpées sur les grands ânes blancs et enveloppées d’une nuée de coureurs, de porte-parasol, d’eunuques à cheval, de soldats semblables à des panoplies vivantes, ayant chacun une lance, un fusil, un bouclier, un sabre et un poignard. A peine hors de la ville, les coureurs excitaient les ânes, et toute cette foule s’élançait en désordre, sans souci des glapissemens des eunuques. C’était un tourbillon, un ouragan, un éparpillement, et l’on arrivait à la plantation par petits groupes, au mépris de toutes les lois de l’étiquette. Nul ne sait ce que peut être notre vie terrestre, s’il n’a goûté à l’existence enchantée qui attendait le harem à la campagne. On se donnait des indigestions du matin au soir. On était assailli de visites par le voisinage. On s’amusait en liberté dans les bois. Ce n’était que jeux, ris et festins, que feux d’artifice et concerts. Une partie des nuits se passait dehors, dans l’air tiède et parfumé. De grands cercles de femmes, dont les yeux et les pierreries brillaient dans l’ombre, se formaient sous les arbres géans,