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autour d’une clairière où des nègres et des Hindous en vêtemens blancs dansaient au clair de lune. Ces nuits divines sont caractérisées par la princesse Salmé d’un mot bien européen, bien littéraire, qui produit un effet singulier sous la plume d’une ancienne kibibi : « De pareilles soirées, dit-elle, sont des plus romantiques. »

Comme son pauvre cœur se serre en nous contant ces choses ! Reléguée par son imprudence dans un monde dur et trompeur, avide et hypocrite, elle ne reprend des forces pour supporter le présent qu’en se replongeant par l’esprit dans le passé. Contre les soucis qui l’accablent, contre les épines dont les civilisés « ont semé si abondamment le sentier de sa vie, » l’infortunée n’a qu’une seule défense : « le souvenir sacré des siens et de sa patrie. » Elle s’écrie éloquemment : « Je m’y ensoleille à peu près chaque jour. » Il nous reste à raconter comment son grand malheur lui est arrivé.


IV.

Sejjid-Saïd faisait de loin en loin un voyage à Mascate, afin de mettre ordre aux affaires de son royaume de l’Oman. Salmé, déjà grandelette, le vit partir pour une de ces expéditions. Il emmenait quelques-unes de ses filles et deux sarari favorites. La surveillance de ses harems et le gouvernement de Zanzibar demeuraient confiés pendant ses absences à l’un de ses fils, appelé Chalid, excellent musulman, dont le premier soin était de rétablir la discipline parmi les troupeaux féminins remis à sa garde. Adieu les complaisances et les faiblesses ! Chalid ne connaissait que la loi. On le vit bien lors de l’incendie de Bet-il-Sahel.

C’était pendant une de ses régences. Le feu prit au palais dans la journée, à l’heure où une dame arabe ne doit pas être aperçue hors de sa maison. La nombreuse population de Bet-il-Sahel, affolée de terreur et fuyant les flammes, s’étouffa aux portes pour fuir. Elle trouva les issues fermées et gardées par la troupe. Chalid n’avait eu qu’une pensée en apprenant l’incendie : sauver la règle et empêcher ses sœurs et ses belles-mères d’être vues dehors en plein jour. On réussit à éteindre le feu, et ce fut tant mieux pour elles. On n’eût pas réussi que c’eût été tant pis pour elles. Périsse le harem plutôt qu’un principe ! Chalid ne fut pas récompensé de sa fidélité aux préceptes du Coran. Ses deux filles devinrent les chefs du parti de l’émancipation de la femme à Zanzibar.

La semaine qui avait précédé le départ du vieux sultan avait été laborieuse pour les femmes de ses palais. Elles avaient profité de