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trois ou quatre tronçons et s’épuiser par des rivalités ruineuses ? Les événemens ont démenti les prévisions de mauvais augure, et l’Amérique a repris un nouvel essor. Pourquoi les optimistes n’auraient-ils pas encore raison cette fois?

L’Europe suit avec le plus sympathique intérêt les phases de ce conflit redoutable qu’elle aussi ne pourra manquer d’affronter quelque jour. Tous ses vœux sont pour un dénoûment pacifique, qui lui importe à elle-même au premier chef. L’accord, ou du moins le modus vivendi entre le travail et le capital, est la grosse affaire du temps. Sous peine de déchéance prochaine, tous les peuples doivent s’efforcer de l’établir. Car si l’équité défend que la science et la richesse puissent écraser l’ignorance et la pauvreté du grand nombre, la loi du progrès, qui s’accomplit toujours par l’élite, ne permet pas non plus que l’ignorance et la pauvreté puissent détruire la richesse et la science. Ce serait un noble rôle d’amener la réconciliation des classes et de préparer ce pacte de fraternité scientifique et chrétienne, d’où dépend l’avenir de l’humanité. Que l’Amérique donne l’exemple, ses rivaux l’applaudiront. N’est-ce pas son tour de découvrir un nouveau monde dans l’ordre économique et social?


II.

Aux dangers éventuels du socialisme, les Américains opposent les réalités incontestables de leur prospérité présente et passée. « Nous avons réussi, disent-ils, comme aucun autre pays ne l’a fait avant nous. » Par cette simple affirmation, ils ont réponse à toutes les critiques et aux sinistres présages. Dans la joie légitime du triomphe, ils montent au Capitole pour rendre grâces aux dieux et surtout à eux-mêmes.

Chaque peuple a sa dose de-chauvinisme, de jingoism, ou de spreadeaglism. En manquer totalement serait un signe d’atonie. Mais, dans la belle humeur du succès, les Américains se montrent bons princes. Leur amour-propre national est moins sensible que par le passé aux piqûres de la critique. Eux-mêmes se jugent souvent avec une crudité de langage qui ne permet pas de les prendre au mot. Notons en passant un trait de modestie. Ils ne font guère parade de chauvinisme belliqueux. Pourtant, les expéditions de leurs volontaires, les campagnes de leurs troupes régulières au Mexique et ailleurs, la conquête de la Californie par soixante et un hommes en trente-sept jours et les combats sur mer livrés à diverses époques,