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libre dans les vins naturels, et se rencontre même en assez grande abondance dans ceux récoltés en Espagne. L’examen polarimétrique du vin sophistiqué par la dextrine fera reconnaître une forte déviation vers la droite de la part des vibrations lumineuses[1], et il en sera de même si le falsificateur a employé la glucose commerciale, toujours mêlée de dextrine.

Ni la dextrine, ni la glucose, ni la glycérine ne figurent dans les produits de l’incinération de l’extrait. Aussi quelques praticiens, au lieu d’apprécier le poids de celui-ci, pèsent directement les cendres quand ils soupçonnent un mouillage ou un vinage, et concluent à la fraude dans le cas où le résultat se trouve trop faible. Ils feront bien alors de ne compter comme cendres que le résidu débarrassé de chlorure de sodium, car une petite dose de sel marin glissée adroitement dans un vin mouillé n’en altère presque pas le goût et contribue à grossir le résidu incinéré.

Bien des siècles se sont écoulés depuis le jour où l’on s’est mis à frelater les vins par incorporation de matières étrangères, cette addition n’étant pas faite, cela va sans dire, dans le dessein d’améliorer réellement ces liquides, mais bien avec l’intention de leur donner une plus belle apparence, propre à séduire les acheteurs. Pline déclare qu’à part les vins de Béziers, les crus de la Narbonnaise étaient fraudés, soit avec des herbes, soit avec des drogues malsaines[2]. Dès le XIIIe siècle de notre ère, on ajoutait aux vins des sels de plomb ou de fer et de l’alun. Du temps de Louis XV, on corrigeait l’acidité des vins piqués en dissolvant un peu de litharge dans le liquide aigri. L’acide acétique est absorbé par la litharge et forme avec elle de l’acétate de plomb (sucre de Saturne), composé doué d’une saveur douce, quoique nuisible au plus haut degré. Jean Jacques Rousseau mentionne cette pratique dans un passage de l’Emile; il explique longuement à son élève les inconvéniens de la falsification par la litharge, et lui enseigne les moyens de la mettre en évidence. Le professeur s’apercevant que ses tirades n’intéressent guère Emile (ce que nous croyons sans peine), entame, à l’usage de son lecteur, une dissertation soporifique et déclamatoire que nous n’avons pas à résumer ici. A l’époque

  1. Les cendres d’un vin plâtré à la cuve ou salé dans les mêmes conditions sont riches en sulfate de potasse ou en chlorure sodique. Le poids de l’un ou l’autre sel étant dosé, puis défalqué de celui de l’ensemble des élémens calcinés, on voit que le résidu net est, à peu de chose près, égal à celui qu’abandonne un vin ordinaire. Inversement, lorsque le salage a pour but de dissimuler un mouillage préalable, les cendres, une fois dépouillées de chlorure, se réduisent à peu de chose.
  2. Le compilateur ajoute, en parlant des vignerons du sud de la Gaule: « Quippe etiam aloen mercantur qua saporem coloremque adultérant. »