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actuelle, quelques-uns des lieux-communs sur lesquels a brodé le philosophe genevois pourraient encore servir ; mais il faudrait modifier le sujet de la leçon et corriger le texte à paraphraser[1]. Depuis longtemps, en effet, on a abandonné l’emploi de la litharge, moins peut-être parce que les tribunaux proscrivent cette drogue dangereuse que parce qu’elle est trop facile à reconnaître. On préfère aujourd’hui saturer les acides du vin, soit par la craie, dont l’emploi peut être autorisé sous certaines réserves, soit par des carbonates alcalins à base de potasse ou de soude, comme faisaient déjà les Romains lorsqu’ils amélioraient leurs vins aigris avec de la cendre de sarment ou de la lie de vin brûlée. Il vaut mieux, comme le conseille M. Gautier, coller ou filtrer le vin, puis le chauffer après incorporation de quelques centièmes de bonne eau-de-vie. L’excès d’acide acétique s’évapore ou s’éthérifie, ce qui développe le bouquet, comme l’on sait déjà ; il se dissipe bien un peu d’alcool, mais celui qu’on a introduit préalablement compense cette perte, et, grâce à l’influence de la chaleur, il se marie assez bien avec les autres élémens du vin pour que les inconvéniens spéciaux au vinage en soient largement atténués. D’autres œnologues conseillent de dissoudre dans le liquide aigri du tartrate neutre de potasse. Ce sel passe à l’état de crème de tartre en cédant à l’acide acétique la moitié de son potassium.

Cette petite digression nous a entraîné en dehors de notre sujet ; revenons aux fraudes qui altèrent la composition même du vin. En général, le consommateur préfère les vins qui sont doués d’une jolie nuance à ceux dont la teinte est moins riche, parce qu’une belle couleur, flatteuse à l’œil, signale un liquide généreux et salubre, exempt de maladies et susceptible de se conserver longtemps, et le consommateur a parfaitement raison, lorsque, hésitant entre plusieurs vins naturels, vieux de quelques mois, il choisit instinctivement l’échantillon le plus agréable au sens de la vue. Renforcées ou non par des alcools frelatés, les boissons mouillées n’offrent pas un aspect engageant, surtout après que le calcaire entraîné par l’eau a rongé le principe colorant naturel. Il s’agit de « parer » la marchandise, et pour arriver à ce but le débitant, non content de

  1. Dans une note annexée au passage de l’Émile que nous venons de rappeler, Rousseau fait observer que le vin débité chez les marchands de Paris est fréquemment souillé par des traces de plomb, sans avoir été pour cela traité par la litharge. Les quelques gouttes de vin qui découlent sur le comptoir, pendant le mesurage, sont précieusement recueillies dans des baquets et utilisées de nouveau sous le nom de « baquettures. » Au contact de l’air, le liquide attaque le plomb et devient tout à fait insalubre. Aussi les règlemens de police actuels prohibent-ils formellement l’usage des feuilles de plomb sur le comptoir.