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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/928

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de la mer, si dangereuse en ces parages, détruisait l’œuvre édifiée à tant de peines. La défense de l’île reste donc dans ses milices… et surtout dans la flotte de l’Angleterre.

Cette terre si voisine de France, et où le Français entend parler sa langue, était un lieu de refuge tout désigné pour les victimes de nos luttes religieuses et civiles. Au XVIe siècle, la réforme y fut prêchée par des réfugiés huguenots, que l’on trouve dans toutes les îles de l’archipel. L’une d’elles, Auregny (en anglais Alderney), vit sa population doublée par cette émigration. L’influence du clergé indigène avait été affaiblie par les mesures de sécularisation des biens ecclésiastiques sous Henry VIII. Un siècle plus tard, après la révocation de l’édit de Nantes, pendant que tant de réfugiés allaient s’établir en Angleterre et que des régimens huguenots gagnaient pour Guillaume d’Orange la bataille de la Boyne, environ trois cents familles protestantes venaient s’établir dans les îles. Parmi ces exilés se trouvait un des plus célèbres des chefs cévenols, Jean Cavalier : la reine Anne l’avait nommé gouverneur de Jersey ; mais il n’y resta pas.

À peu d’exceptions près, ces familles hugenotes s’établirent dans les îles, y firent souche et se mêlèrent à la population indigène. Il n’en fut pas de même des autres exodes de France qui eurent lieu plus tard. Ce furent alors moins des réfugiés que des émigrés de passage, attendant, — souvent longtemps, — la fin de la tourmente pour regagner la France d’un coup d’aile. Pendant la révolution française, les îles reçurent un nombre considérable d’émigrés, venus surtout de Bretagne et de Normandie. A certain moment, il y eut, dit-on, près de 11,000 Français dans Jersey et Guernesey. En 1814, c’est de Jersey que le duc de Berry s’embarqua pour rentrer en France par Cherbourg. En 1848, quelques vaincus de février allèrent faire un court séjour à Jersey, et l’un d’eux y trouva l’occasion d’un aimable article dans la Revue des Deux Mondes[1]. Peu après, le coup d’état du 2 décembre 1851 jeta de nouvelles épaves sur le rivage des îles, et Victor Hugo y alluma aussitôt ce phare de poésie vengeresse que de loin l’empire voyait briller, sans pouvoir arrêter sa lumière. Victor Hugo s’était d’abord établi à Jersey, l’île la plus voisine et, pour cette raison, toujours la plus peuplée d’émigrés ; mais ayant, lui et quelques autres proscrits, offensé par des paroles imprudentes les opinions des Jersiais, il se transporta à Guernesey et y resta. — Enfin, quelques années après que Victor Hugo était rentré dans la patrie, les pères jésuites, qui n’avaient plus en France la liberté ni d’enseigner ni de vivre en

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1849.