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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/956

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besoin que d’être mieux conduite, d’avoir un gouvernement, pour reprendre aussitôt sa position en Europe. Nous en faisons l’aveu tous les jours devant le monde qui nous regarde et qui nous juge sans indulgence; mais enfin, de bonne foi, la France est-elle donc aujourd’hui le seul état pour lequel il y ait des luttes intestines, des fermentations révolutionnaires, des embarras de gouvernement?

Les autres nations, il est vrai, ont l’avantage de la stabilité des institutions traditionnelles; à part cette garantie contre la mobilité du pouvoir, elles ont comme notre pays, plus peut-être que notre pays, leurs difficultés, leurs conflits intérieurs, leurs incohérences, leurs crises sociales et même leurs crises dynastiques. Des incertitudes, des malaises, des incidens, il y en a partout. L’Angleterre a beau se croire inexpugnable dans son île et dans sa liberté, elle n’a pas moins ses embarras. Sans parler de l’Irlande, que sa politique de coercition irrite sans la dompter, qu’elle ne soumettra pas avec de petites inhumanités de police comme celles qui viennent d’être exercées contre un prisonnier, M. O’Brien, l’Angleterre se sent envahie par le mouvement démocratique. Elle vient d’assister à la première application des récentes réformes du « gouvernement local, » et elle a aujourd’hui à Londres un conseil assez étrangement composé, tout radical d’esprit et de tendances, une façon de commune ou de conseil municipal de Paris. L’Angleterre se prépare peut-être de l’occupation avec ses expériences. L’Italie, au milieu de ses rêves d’ambition diplomatique, vient d’avoir ses scènes de dévastation, ses agitations ouvrières, ses émeutes en pleine ville de Rome. La puissante Allemagne elle-même, à part les dangers d’un socialisme qui ne cesse de s’étendre et de gagner les principales villes, l’Allemagne a subi, depuis un an, la grave et délicate épreuve d’une double transmission de règne par la mort de deux empereurs, de l’avènement d’un nouveau souverain. Rien n’est changé en apparence, on le dit; en réalité, tout est peut-être changé plus qu’on ne le croit, et ces événemens qui se sont succédé au milieu des péripéties intimes et des drames de famille ont créé une situation dont on ne peut prévoir encore les suites, qui reste pour le moment livrée à d’obscures et insaisissables influences. L’Allemagne n’a peut-être pas épuisé les conséquences de ses derniers deuils dynastiques; elle entre à peine dans le nouveau règne, et voici qu’à son tour l’Autriche vient de se réveiller surprise par une sorte de catastrophe, par la mort imprévue, mystérieuse et sombre de l’archiduc Rodolphe, du jeune prince qui semblait destiné à porter un jour la couronne des Hapsbourg.

Toutes les nations ont donc, aussi bien que notre pays, leurs crises et leurs épreuves, qui, sans se ressembler, n’ont pas moins, à des degrés divers, leur signification et leur importance dans la situation