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droit, ce droit chrétien, aujourd’hui presque ignoré, que nous voulons faire renaître dans cette grande confédération catholique dont il fut le principe et la règle. »

Dans le même ouvrage, nous avons vu que Lamennais opposait l’un à l’autre, en les mettant sur la même ligne, le royalisme et le libéralisme, disant que l’un et l’autre soutenaient un principe vrai, mais sans l’appuyer sur de solides fondemens. Ce fondement, c’est la foi chrétienne. Il n’y a de salut pour les peuples que dans le retour au christianisme. C’est ici que Lamennais, désespérant du pouvoir royal, commençait à se tourner vers la liberté. Bien loin de faire appel au pouvoir civil en faveur de la religion, il demandait au contraire que cette intervention fut tout à fait écartée. La contrainte, au lieu de hâter cette réconciliation des peuples et du christianisme, ne ferait que la retarder. Il s’agit de changer non l’état matériel des choses, mais l’état des intelligences. « L’unité, disait-il, ne peut plus renaître qu’à la suite d’un libre combat. » À quoi servirait-il d’enchaîner la parole, puisque l’on ne peut enchaîner la pensée ? Pour ramener les âmes à la vérité, il ne faut plus se servir que d’armes toutes spirituelles. On voit combien Lamennais s’éloignait du temps où il considérait la tolérance comme une persécution de l’église. Il allait plus loin même que la tolérance ; il demandait la liberté, mais une liberté pleine et entière pour les catholiques comme pour les autres. Il faisait voir le danger de trop associer le sort de l’église à celui de l’état. Les avantages que l’état peut assurer à l’église sont loin de compenser les dangers qu’il fait courir à son indépendance. « Elle a bien plus à craindre qu’à espérer des princes. » Il reconnaissait même qu’il y avait quelque chose de légitime dans les appréhensions exagérées qu’inspire le prétendu envahissement du parti prêtre, à savoir l’intention qu’on lui attribue d’usurper le pouvoir civil. Déjà on entrevoit la thèse de la séparation de l’église et de l’état : « Le véritable appui de l’église est dans la confiance des fidèles… Ce sont eux plus que les rois qui la dotèrent dans les temps antiques ; et leurs offrandes, qui forment le patrimoine du pauvre, suffiront à ses besoins toutes les fois qu’un despotisme persécuteur n’interposera point ses volontés arbitraires et tyranniques entre elle et la piété des peuples. »

Lamennais prévoyait de la manière la plus nette la révolution qui s’approchait, et l’on voit clairement qu’il se désintéresse à l’avance du sort d’un pouvoir qui n’était ni chrétien ni populaire. « Le pouvoir sans règle, disait-il, flotte au hasard ; il a perdu son affinité native avec l’ordre. Ne pouvant subsister tel qu’il est, il ne peut réparer ni les ruines qu’il a faites, ni sa propre ruine. Un changement fondamental est devenu nécessaire, et ce changement