l’impôt direct lui a restitué de quatorze à quarante journées franches, pendant lesquelles, au lieu de travailler pour le fisc, il travaille pour lui-même. S’il est marié et père de deux enfans au-dessus de sept ans, l’allégement d’un seul impôt indirect, la gabelle, lui restitue encore douze autres journées, en tout de nu à deux mois pleins chaque année, pendant lesquels il n’est plus, comme autrefois, un corvéable faisant sa corvée, mais le libre propriétaire, le maître absolu de son temps et de ses bras. — Du même coup, par la refonte des autres taxes et grâce au prix croissant de la main-d’œuvre, ses privations physiques deviennent moindres. Il n’en est plus réduit à ne consommer que le rebut de sa récolte, le blé inférieur, le seigle avarie, la farine mal blutée et mélangée de son, ni à se faire une boisson avec de l’eau versée sur les marcs de sa vendange, ni à vendre son porc avant Noël, parce que le sel dont il faudrait le saler est trop cher[1]. Il sale son porc, il le mange, et aussi de la viande de boucherie ; il met le pot-au-feu le dimanche ; il boit du vin ; son pain est plus nutritif, moins noir et plus sain ; il n’en manque plus, il ne craint plus d’en manquer. Jadis il avait pour hôte un fantôme lugubre, la fatale figure qui, depuis des siècles, hantait ses jours et ses nuits, la famine, presque périodique sous la monarchie, la famine, chronique, puis aiguë et atroce, pendant la révolution, la famine, qui, sous la république, en trois ans, avait détruit plus d’un million de vies[2]. Le spectre immémorial s’éloigne, s’efface ; après deux retours accidentels et locaux en 1812 et 1817[3], il ne reparaîtra plus en France.
- ↑ La Fayette. Mémoires. (Lettre du 17 octobre 1799, et notes recueillies en Auvergne, août 1800.) « vous savez, combien il y avait de mendians, de gens mourans de faim dans votre pays ; on n’en voit plus : les paysans sont plus riches, les terres mieux cultivées, les femmes mieux vêtues. » — L’Ancien Régime, 445, 446, 450. — La Révolution, III, 446.
- ↑ L’Ancien Régime, p. 444. — La Révolution, III, 446.
- ↑ Les deux disettes ont eu pour causes l’intempérie des saisons et ont été aggravées, la seconde par les suites de l’invasion et par l’obligation d’entretenir 150,000 hommes de troupes étrangères, la première par les procèdes de Napoléon, qui applique de nouveau le maximum, avec la même ingérence, le même arbitraire et le même insuccès que la Convention. (Mémoires, par M. X…, III, 251 à 335.) « Je n’exagère pas en disant qu’il nous a fallu constamment, pour nos opérations d’achat et de transport (des grains), un grand quart de temps, et quelquefois le tiers, au-delà de ce que nous aurait demandé le commerce. » — Prolongation de la famine en Normandie. « Des bandes de mendians affamés parcouraient les campagnes… Émeutes et pillages autour de Caen ; plusieurs moulins brûlés… Répression par un régiment de la garde impériale. Dans les exécutions qui en furent la conséquence, les femmes mêmes ne furent pas épargnées. » — Aujourd’hui, contre ce danger public, les deux principales garanties sont d’abord l’aisance plus grande, ensuite la multiplication des bonnes routes et des chemins de fer. la célérité et le bon marché des transports, les récoltes surabondantes de la Russie et des États-Unis.