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V

Reste un dernier impôt, celui par lequel l’Etat prend, non plus l’argent, mais la personne elle-même, l’homme entier, âme et corps, et pendant les meilleures années de sa vie, je veux dire le service militaire. C’est la Révolution qui l’a rendu si lourd ; auparavant il était léger : car, en principe, il était volontaire. Seule, la milice était levée de force, et, en général, parmi les petites gens de la campagne : les paysans la fournissaient par le tirage au sort[1]. Mais elle n’était qu’un appoint de l’armée active, une réserve territoriale et provinciale, une troupe de renfort et de seconde ligne, distincte, sédentaire, qui, hors le cas de guerre, ne marchait pas ; elle ne s’assemblait que neuf jours par an ; depuis 1778, on ne l’assemblait plus. En 1789, elle comprenait en tout 75,260 hommes, et leurs noms, inscrits sur des registres, étaient, depuis onze ans, leur seul acte de présence au corps[2]. Point d’autres conscrits sous la monarchie ; en ceci, ses exigences étaient petites, dix lois moindres que celles de la République et de l’Empire, puisque la République et l’Empire, appliquant la même contrainte, allaient lever, avec des rigueurs égales ou pires, dix fois plus de réquisitionnaires ou de conscrits[3].

A côté de cette milice, toute l’année proprement dite, toutes les troupes « réglées » étaient, sous l’ancien régime, recrutées par l’engagement libre, non-seulement les vingt-cinq régimens étrangers, Suisses, Irlandais, Allemands et Liégeois, mais encore les cent quarante-cinq régimens français, 177,000 hommes[4]. A la

  1. J. Gobelin, Histoire des milices provinciales (1882), p. 87, 145, 157, 288. — On trouvera dans cet excellent livre la plupart des textes et détails. — Nombre de villes, Paris, Lyon, Reims, Rouen, Bordeaux, Tours, Agen, Sedan et les deux généralités de Flandre et de Hainault étaient exemptes du tirage au sort ; elles fournissaient leur contingent par l’enrôlement de volontaires qu’elles engageaient à leurs frais ; la prime d’engagement était payée par les corps de marchands et d’artisans ou par la communauté des habitans. En outre, il y avait beaucoup d’exemptions même dans la roture. (Cf. l’Ancien Régime, p. 512.)
  2. J. Gebelin, ibid., 239, 279, 288. (Sauf les huit régimens de grenadiers royaux de la milice, qui, chaque année, sont assemblés pendant un mois.)
  3. Exemple pour un département. (Statistique de l’Ain, par Bossi, préfet, 1808.) — Nombre des militaires du département en activité : en 1789, 323 ; en 1801, 6,729 ; en 1806, 6,761. — « Le département de l’Ain a fourni près de 30,000 hommes aux armées, tant réquisitionnaires que conscrits. » — Par suite, on remarque dans la population de 1801 une diminution notable des individus de vingt à trente ans, et, dans la population de 1806, une diminution notable des individus de vingt-cinq i trente-cinq ans. Nombre des individus de vingt à trente ans : en 1789, 39,828 ; en 1801, 35,648 ; en 1806, 34,083.
  4. De Dammartin, Evénemens qui se sont passés sous mes yeux pendant la révolution française, t. II. (État de l’armée française le 1er janvier 1789.) — Total sur pied de paix, 177,890 hommes. — Ceci est l’effectif nominal ; l’effectif réel des hommes présens au corps était de 154,000 hommes ; en mars 1791, il était tombé au chiffre de 115,000, par la multitude des désertions et la rareté des enrolemens. (Yung, Dubois-Crancé et la Révolution, I, 158 ; Discours de Dubois-Crancé.)