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DU
DANUBE A L’ADRIATIQUE

I.
LE SOL.

En me promenant un jour dans le palais de Versailles, j’ouvris par hasard une porte interdite au public, et je tombai en face d’une peinture parfaitement inconnue, qui me procura des sensations très neuves. C’était une fresque où se trouvaient rendus au naturel le relief complet des Alpes, hérissé de glaciers, couturé de précipices, et les plaines blondes de la Lombardie, pendant la campagne du général Bonaparte ; non point une simple carte murale, mais l’œuvre vertigineuse d’un paysagiste en délire, qui aurait peint dans les nuages, avec le secours du télescope. On voyait très bien les petites lignes noires des troupes serpentant le long des cols, sous la conduite d’un Bonaparte insecte. C’est ainsi que les grues, dans leurs longs vols, doivent contempler l’Europe défilant sous leurs pattes ; et c’est ainsi que nous la verrons nous-mêmes quand on aura trouvé la direction des ballons. Nous embrasserons d’un coup d’œil de gros morceaux de continent, et de là-haut nous apercevrons nos semblables en train de faire de l’histoire, c’est-à-dire de traîner laborieusement des fétus de paille sur des taupinières.