Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 93.djvu/145

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de cette « misérable descendance de Sterne,» qui préfère l’imitation des Anglais à celle des anciens : à la fois anglomane et famélique, c’était un double soufflet qu’il donnait sur son propre visage. Cette désinvolture d’une folie consciente, qui ne se gobe pas, est un trait caractéristique de l’humour, et dans tous ses ouvrages Jean-Paul fera voir qu’en considérant l’univers comme rien, il n’a pas l’outrecuidante prétention de s’exempter lui-même du néant universel. Sentimental, il se gausse de la sentimentalité ; théoricien, il tourne en ridicule les faiseurs de théories ; rat de bibliothèque, il se rit de ceux qui, n’ayant appris à connaître le monde que du fond de leur cabinet, apportent dans la vie réelle et dans la société des hommes une sagesse puisée dans la solitude et dans les livres.

Les singularités de la diction de Jean-Paul ont provoqué, de la part de ceux qui ont tenté de les décrire, une grande émulation de couleurs et d’images. Carlyle le compare, pour la diversité des élémens de son style, pour ses métaphores empruntées aux quatre points de l’horizon, à un géant qui jonglerait avec l’eau, l’air, la terre et le feu ; Philarète Chasles, à une forêt vierge, pour ses phrases de trois pages, pour ses mots de trois lignes, pour le chaos de ses obscures ellipses et pour l’inextricable enchevêtrement de ses parenthèses qui enfantent des sous-parenthèses. M. Firmery n’essaie pas de renchérir ici sur le pittoresque de ses devanciers ; il fait mieux : il démonte la machine; il détaille, une à une, toutes les pièces d’un casse-tête chinois, qui est fort compliqué sans doute, mais n’a rien de mystérieux.

Le procédé essentiel de ce style consiste à entre-choquer dans la même phrase des choses différentes ou contraires. Jean-Paul pédagogue avait inscrit dans son programme d’études l’astronomie et l’anatomie, non pas, bien entendu, pour enseigner à ses élèves l’astronomie et l’anatomie, mais pour enrichir leur vocabulaire d’écrivains humoristes en leur fournissant des métaphores empruntées aux deux domaines « de ce qu’il y a de plus vaste et de ce qu’il y a de plus petit. » Peu importe que les termes de comparaison soient inconnus du lecteur; au contraire : plus vous ferez d’allusions à ce que personne ne sait, plus vous serez un écrivain original et rare. Il est clair que Jean-Paul n’avait pas passé sa vie à tout lire, tout copier et tout relire dans ses cahiers d’extraits, sans acquérir une érudition très variée. Une ligne égarée d’un scoliaste obscur, une observation botanique de Linné, une expérience de physique tentée par un savant d’Odessa. tout entre dans son magasin d’idées et d’images. C’est pourquoi un savant critique, W. Ernest Lichtenberger, ne peut lire Jean-Paul sans se sentir «humilié de son ignorance, » et sans penser que, « pour un esprit supérieur, sachant toutes choses, saisissant instantanément