sur son violon renversé, qu’il laissait presque tomber d’une main nonchalante. Il allait ainsi Dieu sait où, la tête penchée, perdu dans son rêve, ou peut-être ne pensant à rien, savourant, comme un oiseau, la plainte maigre de sa guimbarde et le dernier rayon du jour. Je contemplai longtemps sa silhouette décroissante sur l’horizon de flamme. Bien des choses passeront dans la péninsule et même ailleurs, bien des royaumes crouleront, bien des soleils disparaîtront derrière les nuages ensanglantés, avant que le petit homme noir interrompe sa promenade et sa chanson.
Une autre remarque, puisée dans le trésor de mes observations équestres, c’est le rôle extraordinaire et trop méconnu de la femme en matière d’ethnographie. Lorsque vous entendrez dire d’un peuple que les hommes ne sont pas mal, mais que les femmes sont affreuses, soyez sûrs qu’il s’agit d’une race vigoureuse peut-être, mais imparfaite, dépourvue de noblesse naturelle, d’une race utilitaire ou brutale, qui n’a point encore complètement digéré le barbare. On n’est pas difficile pour la beauté des hommes : qu’ils soient robustes, agiles, rompus à la peine, c’est assez. Le travail les façonne ; chacun d’eux porte sur son front et dans sa carrure le pli du métier. Mais la femme, qui recèle l’avenir dans ses flancs, doit conserver les formes belles et pures pour les transmettre aux générations futures. Lorsqu’elle est lourde et hommasse, c’est que le peuple entier n’est pas tout à fait dégagé de la brutalité primitive. Au contraire, lorsqu’une race décline, selon le sort des choses périssables, l’homme s’affaisse le premier ; la femme garde longtemps encore le reflet de sa haute origine. À l’appui de ma thèse, les exemples abondent dans la péninsule des Balkans. Mais il est difficile de les citer sans manquer aux règles de la galanterie ; car il faudrait établir une classification et distribuer des prix de beauté, ce qui n’appartient qu’au roi de Hongrie.
Je me flatte que mon procédé, s’il était judicieusement appliqué, donnerait la clé d’une quantité de phénomènes, demeurés jusqu’ici sans explication plausible. Par exemple, on a remarqué la vitalité vraiment surprenante de certaines races nobles, longtemps opprimées. On constate que le sang roumain gagne partout sur les populations limitrophes, ce qui met l’esprit des savans à la torture. Ils ont même édifié à cette occasion tout un système sur l’élasticité de la race latine, qui me paraît un cercle vicieux. Autant dire, comme Sganarelle, qu’on devient muet parce qu’on perd l’usage de la parole. Pour prendre la nature sur le fait, il suffit cependant de visiter les bords du Danube. Dès que l’on compare les femmes roumaines à leurs voisines, et la souple démarche des unes à la pesante allure des autres, tout devient clair : l’attrait que les premières