haut de son rocher, à la France vaincue, à sa famille dispersée et aux nations opprimées. Ce testament prescrivait la revanche des traités de Vienne, et l’émancipation des peuples dont la sainte-alliance avait disposé arbitrairement par droit de conquête; leur affranchissement devait assurer la grandeur de la France, lui rendre ses anciennes frontières et apaiser la révolution par le triomphe de ses principes. Telles étaient les idées que M. de Persigny propageait dans les journaux, dans des brochures, et jusque dans les casernes. Il ne justifiait pas le mot de Buffon; sa parole était fine, spirituelle, mordante, et sa plume prolixe, sentencieuse : « il n’avait pas le temps d’être court. » Les aphorismes ne sont pas toujours vrais et les apparences sont souvent trompeuses. J’ai connu un diplomate, véritable trompe-l’œil, qu’on prenait pour un politique doublé d’un écrivain et dont le jugement était boiteux et les correspondances prudhomesques.
L’arrivée à Berlin du confident de Louis Napoléon fut un gros événement[1]. Il représentait un chef d’état qui, par le prestige de son nom et par l’étrangeté de sa destinée, s’imposait à l’attention de l’Europe. La cour et les ministres lui firent grand accueil; les diplomates le comblèrent de prévenances ; ils assiégeaient son hôtel, recueillant avidement ses moindres paroles pour les transmettre à leurs gouvernemens, agrémentées de volumineux commentaires. L’envoyé du président, malheureusement, se livrait à tout venant, sans se douter que ses propos, parfois peu mesurés, seraient travestis et colportés dans toutes les capitales. Les ministres des petites cours, — ou des basses cours, — comme on les appelait à Berlin, surtout s’attachaient à ses pas, sous le prétexte de l’initier à l’étiquette formaliste de Potsdam, de le mettre au courant des précédens et de lui signaler les écueils, mais en réalité pour prendre sa mesure et lire dans son portefeuille. Ils trouvaient qu’à instruire et à renseigner, on s’instruit et se renseigne soi-même ; discinius docendo. Le gouvernement prussien était tenu au courant jour par jour des moindres manifestations de sa pensée. Il se servait du baron de Doernberg, le ministre de Hesse-Cassel, et du baron de Meysenbuch, le ministre de Bade, pour le confesser; mais c’est avec le ministre de Belgique, dont j’ai crayonné jadis la figure[2], que M. de Persigny s’épanchait le plus volontiers. Le baron Nothomb était un habile homme, d’une expérience consommée, le type accompli du représentant d’un état neutre, sans passion, sans parti-pris, rond d’allures, toujours prêt à obliger ses collègues, mais de