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« Il nous revient, chargé de nouveaux mérites dont le prix nous sera compté !

« Car les vertus du père sont la richesse des enfans, et la sainteté de l’abbé embaume toutes les cellules.

« Paphnuce notre père vient de donner à Jésus-Christ une nouvelle épouse.

« Il a changé par son art merveilleux une brebis noire en brebis blanche.

« Et voici qu’il nous revient chargé de nouveaux mérites, « Semblable à l’abeille de l’Arsinoitide, qu’alourdit le nectar des fleurs.

« Comparable au bélier de Nubie, qui peut à peine supporter le poids de sa laine abondante.

« Célébrons ce jour en assaisonnant nos mets avec de l’huile ! »

Parvenus au seuil de la cellule abbatiale, ils se mirent tous à genoux et dirent :

« Que notre père nous bénisse et qu’il nous donne à chacun une mesure d’huile pour fêter son retour ! »

Seul, Paul le Simple, resté debout, demandait : Quel est cet homme ? et ne reconnaissait point Paphnuce. Mais personne ne prenait garde à ce qu’il disait, parce qu’on le savait dépourvu d’intelligence, bien que rempli de piété.

L’abbé d’Antinoé, renfermé dans sa cellule, songea :

— J’ai donc enfin regagné l’asile de mon repos et de ma félicité. Je suis donc rentré dans la citadelle de mon contentement. D’où vient que ce cher toit de roseaux ne m’accueille point en ami, et que ces murs ne me disent pas : Sois le bien-venu ! Rien depuis mon départ n’est changé dans cette demeure d’élection. Voici ma table et mon lit. Voici la tête de momie qui m’inspira tant de fois des pensées salutaires, et voici le livre où j’ai si souvent cherché les images de Dieu. Et pourtant je ne retrouve rien de ce que j’ai laissé. Ces choses m’apparaissent tristement dépouillées de leurs grâces coutumières, et il me semble que je les vois aujourd’hui pour la première fois. En regardant cette table et cette couche, que j’ai jadis taillées de mes mains, cette tête noire et desséchée, ces rouleaux de papyrus remplis des dictées de Dieu, je crois voir les meubles d’un mort. Après les avoir tant connus, je ne les reconnais pas. Hélas ! puisqu’en réalité rien n’est changé autour de moi, c’est moi qui ne suis plus celui que j’étais. Je suis un autre. Le mort c’était moi ! Qu’est-il devenu, mon Dieu ? Qu’a-t-il emporté ? Que m’a-t-il laissé ? Et qui suis-je ?

Et il s’inquiétait surtout de trouver malgré lui que sa cellule était petite, tandis qu’en la considérant par les yeux de la foi, on devait l’estimer immense, puisque l’infini de Dieu y commençait.