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S’étant mis à prier, le front contre terre, il recouvra un peu de joie, il y avait à peine une heure qu’il était en oraison, quand l’image de Thaïs passa devant ses yeux. Il en rendit grâces à Dieu :

— Jésus ! c’est toi qui me l’envoies. Je reconnais là ton immense bonté : tu veux que je me plaise, m’assure et me rassérène à la vue de celle que je t’ai donnée. Tu présentes à mes yeux son sourire maintenant désarmé, sa grâce désormais innocente, sa beauté dont j’ai arraché l’aiguillon. Pour me flatter, mon Dieu, tu me la montres telle que je l’ai ornée et purifiée à ton intention, comme un ami rappelle en souriant à son ami le présent agréable qu’il en a reçu. C’est pourquoi je vois cette femme avec plaisir, assuré que sa vision vient de toi. Tu veux bien ne pas oublier que je te l’ai donnée, mon Jésus ; garde-la puisqu’elle te plaît et ne souffre pas surtout que ses charmes brillent pour d’autres que pour toi.

Pendant toute la nuit, il ne put dormir, et il vit Thaïs plus distinctement qu’il ne l’avait vue dans la grotte des Nymphes. Il se rendait témoignage, disant :

— Ce que j’ai fait, je l’ai fait pour la gloire de Dieu.

Pourtant, à sa grande surprise, il ne goûtait point la paix du cœur. Il soupirait :

— Pourquoi es-tu triste, mon âme, et pourquoi me troubles-tu ? Et son âme demeurait inquiète. Il resta trente jours dans cet état de tristesse qui présage au solitaire de redoutables épreuves. L’image de Thaïs ne le quittait ni le jour ni la nuit. Il ne la chassait point parce qu’il pensait encore qu’elle venait de Dieu et que c’était l’image d’une sainte. Mais, un matin, elle le visita en rêve, les cheveux ceints de violettes, et si redoutable dans sa douceur qu’il en cria d’épouvante et se réveilla couvert d’une sueur glacée. Les yeux encore cillés par le sommeil, il sentit un souffle humide et chaud lui passer sur le visage : un petit chacal, les deux pattes posées au chevet du lit, lui soufflait au nez son haleine puante et riait du fond de sa gorge.

Paphnuce en éprouva un immense étonnement et il lui sembla qu’une tour s’abîmait sous ses pieds. Et, en effet, il tombait du haut de sa confiance écroulée. Il fut quelque temps incapable de penser ; puis, ayant recouvré ses esprits, sa méditation ne fit qu’accroître son inquiétude.

— Dieu juste, à quelles épreuves réserves-tu tes serviteurs, si les apparitions de tes saintes sont un danger pour eux ? Fais-moi connaître, par un signe intelligible, ce qui vient de toi et ce qui vient de l’Autre !

Et comme Dieu, dont les desseins sont impénétrables, ne jugea pas convenable d’éclairer son serviteur, Paphnuce, plongé dans le